Et si la technologie nous redonnait confiance en l’autre ?

eBay a montré la voie dès 1997 en créant un premier site de commerce entre particuliers sur internet. La vision de son fondateur, Pierre Omidyar, était simple : « les gens sont fondamentalement bons ». Mais s’agissant de nos propriétés, voire de notre intimité, les places de marché ont dû évoluer et créer une série d’outils qui nous encouragent à faire confiance aux autres humains. Analyse des recettes de ces nouveaux géants de l’ « internet des gens ».

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Partir en week-end avec la voiture d’un inconnu, partager son trajet avec de parfaits étrangers, louer son appartement sur internet,… les pratiques collaboratives entrent dans notre quotidien. Elles sont propulsées par des entreprises qui nous conduisent à adopter des comportements que nous n’aurions pas envisagés il y a encore 5 ans. Comme l’explique un article de Jeff Rogers paru dans le magazine Wired (mai 2014), « nous sommes entrés dans l’ère de l’intimité permise par internet ». Pour le journaliste américain, « ce n’est pas qu’un choc économique, c’est un choc culturel, rendu possible par une série de mécanismes, algorithmes, et des systèmes finement calibrés de récompenses et de punitions ». Comment les Uber, Lyft, Airbnb et Blablacar ont-ils réussi à nous redonner confiance en l’autre ? Explications en 3 temps.

1. Un peu d’histoire : comment la révolution industrielle a détruit puis reconstruit la confiance

Nous nous engageons avec des inconnu(e)s tous les jours : le facteur pourrait lire votre courrier, le cuisinier de la cantine déteste peut-être son employeur, et que sait-on au juste de cette femme de ménage qui a les clés de notre maison ? Mais, explique Rogers, « chacune de ces transactions est permise par une série compliquée de régulations, interdits et assurances qui sont apparues avec la révolution industrielle et le monde tel que nous le connaissons ». Avant la révolution industrielle, les gens vivaient reclus dans de petites villes ou des communautés fermières, dont les membres construisaient des relations étroites leur vie durant. Tout le monde connaissait tout le monde, il était par conséquent naturel de bien traiter son prochain. Les gens partageaient un système de croyance et de morale, ce qui rendait plus simple le fait de travailler et commercer ensembles.

À partir du milieu du 19ème siècle la révolution industrielle a rempli les villes et vidé les campagnes. Les grandes compagnies ont remplacé les petits marchands. Les grandes surfaces ont remplacé les marchés de producteurs. Soudain, les gens ne purent plus compter sur les relations interpersonnelles ou les normes culturelles héritées de leurs ancêtres. Un nouvel écosystème les a remplacées afin de reconstruire des normes de confiance : banque, assurances, services juridiques, notariat, marques, réglementations,… ont rétabli un certain ordre économique. « Ce nouveau système, nous dit Rodgers, ne demande pas aux gens de se faire confiance les uns les autres, mais de se reposer sur un système centralisé qui protège leurs intérêts ». Si cet ensemble normatif a permis le développement de la société moderne, il a aussi créé de nombreuses « frictions » – formalités, paperasse, contraintes, absence de personnalisation. Le développement d’internet a remis en cause cet équilibre.

2. Le challenge des services en ligne : instaurer la confiance sans la friction

Là où beaucoup de marques se sont contentées de « numériser le passé » en transférant leurs anciennes procédures sur le web, les nouveaux entrants ont su améliorer sensiblement le parcours de l’utilisateur pour le rendre à la fois simple et fluide. Le design est au cœur de leur proposition de valeur : une appli unique partout dans le monde, des interfaces ultra-simples et un service client accessible 24/7 . Capture d’écran 2015-04-27 à 23.44.33

Mais le design ne peut pas tout. Contredisant la vision de Pierre Omidyar, certaines personnes mal intentionnées ont profité des failles du système : le saccage d’un appartement ou encore l’utilisation d’un autre pour une soirée X ont failli avoir la peau d’Airbnb. Chez Blablacar, le taux de « défaut » atteignait lui 30% aux débuts du service, gratuité oblige. Conséquences : ces sites ont dû rapidement inventer leurs propres procédures. 80 personnes (sur 1600 employés) sont chargées de la sécurité chez Airbnb. Uber a développé un arsenal de mesures impressionnant pour la sécurité de ses trajets. Les polices d’assurance sont également mises en avant, avec des couvertures pouvant atteindre le million d’euros. Au-delà des polices d’assurance ou des CGU, la confiance a également été trouvée par un subtil mélange de contraintes et de récompenses imposées aux utilisateurs.

Blablacar a résumé sa propre formule gagnante sous l’acronyme anglais D.R.E.A.M.S avec :

D comme « déclaré » : les membres sont invités à s’identifier clairement, sans pseudo et fournir leurs coordonnées bancaires. Tout est vérifié par le site

R comme « rated » : chaque partie prenante peut noter l’autre

E comme « engagé » : le passage récent en mode payant a fait passer le taux de défaut de 30 à 3%

A comme « actif » : les membres sont invités à répondre rapidement aux sollicitations des autres pour fluidifier les échanges

M comme « modéré » : contrairement à Leboncoin.fr, Blablacar vérifie les coordonnées et informations transmises

S comme « social » : complète le « D » en permettant, voire encourageant, les internautes à s’identifier via leur profil social Facebook ou LinkedIn.

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Les sites cherchent aussi à maîtriser l’ensemble du parcours utilisateur. Impossible par exemple d’échanger une adresse email ou un numéro de téléphone sur Airbnb ou Blablacar. La réactivité aux demandes, le taux d’annulation, les problèmes signalés et les notes dont vous faites l’objet sont analysés par des algorithmes et conditionnent votre visibilité sur la plateforme. Au mieux votre « rang » diminue comme un vulgaire site web sur Google. Au pire vous pouvez être « banni » du service.

Résultats : en 2013, Airbnb déclare avoir reçu 700 réclamations sur 6 millions de transactions. De quoi faire rêver beaucoup d’agents de voyages ou loueurs d’appartements.

3. Vers un « internet des gens » ?

L’internet traditionnel aidait les gens à se rencontrer et communiquer en ligne. Le nouvel internet relie individus et communautés dans le monde physique. Le fondateur de Lyft, John Zimmer, passe une partie de son temps libre dans une réserve indienne dans le Dakota afin de comprendre et vivre leur « sens de la communauté ». Zimmer : « les gens ont besoin de vraies interactions : nous avons l’opportunité d’utiliser la technologie pour les aider à y arriver ». On retrouve ici le message de la contre-culture américaine, pour qui la technologie n’est pas l’ennemie de l’homme, mais peut au contraire contribuer à résoudre ses problèmes. Le message est relayé par l’actuel CEO de Lyft, Logan Green, lors d’une présentation à SXSW: « Fixing Transportation with Humanity and Technology » (« améliorer les transports avec humanité et technologie »)

Encourager les relations entre humains n’est pas qu’un objectif philosophique. « On ne déconne pas avec des gens que l’on connaît » affirme Charles Green, expert en confiance (si si, ça existe).

Les conducteurs de Lyft sont encouragés à créer leur propre page Facebook. Les particuliers sont invités à se présenter et à échanger avec l’autre partie prenante avant d’accepter la transaction. Leur activité est récompensée par des statuts comme « Ambassadeur » (Blablacar) ou « Superhost » (Airbnb) qui offrent avantages et visibilité. Anne-Sophie Frenove la Directrice Marketing d’Airbnb me confiait que certaines personnes indiquaient même leur statut de Superhost dans leur CV professionnel.

Les entreprises organisent aussi des meetups, réunions « dans la vraie vie » destinées à la fois à présenter le service aux membres de la « communauté », mais aussi à présenter les membres entre eux.

Ces dispositifs, testés et intégrés pas à pas dans l’expérience utilisateur, ont un effet sensible sur la confiance. Les membres de Blablacar ont classé ainsi l’indice de confiance qu’ils octroyaient à différents types de relations (échelle 1 = pas de confiance à 5 = très grande confiance) :

Amis et famille :       4,7

Profils Blablacar :    4,2

Collègues :                3,8

Amis Facebook :      3,6

Voisin :                      3,5

Etrangers :                2,2

La confiance« assistée par internet» devient plus forte lorsque l’on est en relation avec une personne sur un site de partage que lorsque l’on interagit par exemple avec un conducteur de bus. Le conducteur de bus est un agent commercial. Il ne joue pas sa réputation personnelle. Vous ne le connaissez pas et il ne vous connaît pas. Vous ne pouvez pas le noter.

La perspective de cette nouvelle relation rendue possible par la technologie ressemble fort à un pied-de-nez à la société normative des siècles derniers. Elle peut même être vue comme un retour à la normale, à un un monde où les individus interagissaient sans intermédiaire et trouvaient eux-mêmes les moyens de leur régulation. Là où l’on nous prédisait une technologie froide et déshumanisée, le futur sera peut-être celui de la proximité et du partage. Celui d’un « internet des gens », assisté par la technologie et de nouvelles règles décentralisées.

« La confiance est la nouvelle monnaie » (Rachel Botsman), celle qui construira les empires de demain.

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photo en-tête : Lyft

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