Retour du Micromobility Summit
Notre compte-rendu du Sommet des Micromobilités de Berkeley du 31 janvier 2019, évènement consacré à l’essor d’un écosystème des light electric vehicles
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J’ai eu la chance d’assister jeudi dernier au Micromobility Summit, un évènement consacré aux “micromobilités”.
Ce terme original a été inventé par les deux co-fondateurs de l’évènement, Horace Dediu et James Gross. Le premier est un analyste expert du mobile et d’Apple, qui s’est progressivement intéressé au sujet des vélos, trottinettes et autres “véhicules électriques légers”. Le second est le fondateur de Percolate, une solution de marketing de contenus dont il a fait usage à merveille pour préparer et accompagner le sommet.
Celui-ci s’est déroulé dans un lieu emblématique : le Craneway Pavillon, une ancienne usine Ford qui a fabriqué notamment le Modèle A puis les Jeeps (des véhicules de moins de 500kg !) à destination des champs de bataille du monde entier. Son emplacement ne tient pas du hasard : à portée de ferry de San Francisco et de vélo d’East Bay, il est aussi parfaitement connecté à la Silicon Valley.
Ce n’est pas bien clair si cet évènement est le premier du genre : des éditions précédentes ont déjà eu lieu à Copenhague en 2017 et 2018, dans des formats beaucoup plus modestes.
Mais ça c’était avant. Avant que deux startups “sorties de nulle part”, Lime et Bird, atteignent en quelques mois des chiffres exceptionnels de fréquentation, aussitôt suivis par des chiffres non moins astronomiques de levées de fonds (respectivement 800 millions de dollars pour la première et 415 pour la seconde). Il n’en fallait pas moins pour déclencher un intérêt certain des “gens de la (Silicon) Valley” : 650 personnes se sont rassemblées au Craneway, avec un intéressant mélange de “gens de la Valley”, de startupers, de passionnés de nouvelles mobilités et d’agents publics.
Ce contexte favorable n’enlève rien au mérite des organisateurs. Non seulement ils ont su anticiper la tendance dès 2017, mais surtout ils ont créé un contenu préalable à la conférence d’une qualité exceptionnelle. James et Horace, avec leur compère néo-zélandais Oliver Bruce, n’ont eu de cesse de publier podcasts, articles de blog et threads sur Twitter pour détailler leur vision.
J’ai rarement vu une telle densité de références, ressources et analyses sur un sujet aussi nouveau. Rien à voir avec le “bullshit mou” auquel nous habituent malheureusement trop d’organisateurs d’évènements dans leur communication. Cette production s’est achevée en apothéose par la publication d’un “Manifeste des micromobilités” sorte d’Évangile selon Horace qui résume brillamment en quoi ces véhicules en apparence petits et sympathiques sont annonciateurs d’un changement profond dans la manière de se déplacer. [Lire notre traduction du Manifeste ici]
Résumé : nous sommes actuellement en situation de “dégrouper” la voiture particulière. Séparer la possession de l’usage et adapter le moyen de déplacement à chaque situation.
Comme précédemment avec l’ordinateur, nous vivons une époque où la technologie, la présence de brillants entrepreneurs et l’accès au capital s’alignent pour permettre la “disruption” de l’automobile. La technologie apporte des véhicules légers, électriques et performants. Les entrepreneurs, pour beaucoup des anciens d’Uber et Lyft, cumulent compétences en logiciel et capacité opérationnelle. Ajouté à la puissance et la connectivité du smartphone, cet “alignement des astres” permet de créer de véritables systèmes de transport avec de faibles moyens.
“Nous sommes en 1976” dira Horace Dediu, faisant allusion à l’année de sortie de l’Apple II, le premier ordinateur personnel grand public. Vous comprenez l’idée : l’Apple II a lancé un fantastique élan de disruption des mainframe computers et des mini computers, ces machines immenses qui occupaient un étage ou une pièce entière et coûtaient un bras. Et après lui ce sont les portables et tablettes, puis le smartphone qui ont encore “dégroupé” l’ordinateur personnel, permettant des usages impossibles à imaginer auparavant. Ajoutez la puissance des plateformes logicielles (comme Windows ou iOs), qui permettent de créer une économie de services “sur les épaules” de ces nouvelles machines, et vous avez des conditions uniques pour “dégrouper” la voiture particulière.
Pour Horace, les trottinettes ou les vélos électriques, ou peu-importe-le-prochain-engin-électrique-léger-à-la-mode, vont permettre d’adresser le marché principal de l’automobile : celui des courtes et moyennes distances (80% des kilomètres parcourus). Le rythme de renouvellement rapide de ces engins, perçu comme un handicap, est aussi un avantage par rapport à la voiture : les innovations arrivent beaucoup plus vite sur le marché, accentuées par la présence de plateformes logicielles absentes de nos chères automobiles.
Dediu a ensuite exposé patiemment des courbes et graphiques qui en auraient rebuté plus d’un s’ils n’avaient pas tous mis en évidence un constat implacable : le marché à conquérir est énorme (50 à 80% de 16 000 milliards de miles par an, vous voyez le tableau). La dimension servicielle est majeure également : correctement géré, un système de transport efficace permet d’utiliser intensivement ces véhicules et économiser d’immenses surfaces en parking. À Los Angeles, le stationnement seul représente 200 miles (300 km) carrés dans la ville. Or, nous avons, aujourd’hui, les engins et le système pour réaliser ce rêve. Et l’argent. Et l’appétit des utilisateurs.
Mais attention à l’emballement. Nous ne sommes qu’ “en” 1976 : si la technologie est là ainsi que les entrepreneurs, tout ou presque reste encore à inventer pour permettre à ce modèle d’abattre l’ancien.
La technologie d’abord, qui doit encore faire progresser moteurs, batteries et dispositifs de sécurité. Ce fut l’objet d’une première série de conférences appelée building blocks, terme emprunté là aussi au monde informatique. Le vice-président de Ninebot Segway, qui a vendu 1,8 million de trottinettes l’année dernière, est notamment venu expliquer qu’il se verrait bien comme le Boeing ou Airbus du transport aérien : peu importe qui exploite le service, ses engins seront là pour répondre à la demande en étant toujours plus adaptés au partage.
Ce n’est pas le choix que semblent faire les principaux acteurs des services comme JUMP, Lime ou Bird. Tous conçoivent dorénavant leurs propres engins. Leur objectif est de créer la “Mercedez-Benz taxi” du secteur : un engin robuste, fiable et adapté à l’usage intensif prévu. Beaucoup reste à trancher encore dans le domaine de la sécurité (casque ou pas casque ?), du vandalisme (attaché à un point fixe ou non ?), de la recharge (batterie amovible ou fixe ?) et des conditions de circulation (sur la piste cyclable ou la route ?).
Les startups justement, avec un excellent panel d’opérateurs mené de main de maître par Cory Weinberg (The Information) qui n’a pas hésité à poser les questions qui fâchent. Au directeur de Spin, récemment acheté par Ford, il a demandé s’il ne craignait pas de “finir comme Chariot” (également acheté par Ford et arrêté cette semaine); à celui de Skip, s’il pensait pouvoir rester indépendant longtemps. La fusion de Grin et Yellow, les deux leaders sud-américains, pose également la question de la soutenabilité du modèle économique. À la question sur leur principal pain point , la réponse a été unanime : “les redevances !”. Le vandalisme était classé en plus lointaine position…
Même si beaucoup de convives semblaient acquis par avance à la vision horacienne, l’évènement a fait place à des voix dissonantes, notamment des représentants de collectivités locales. Celles-ci ont pu exprimer leur double frustration : voir les startups de trottinettes faire les mêmes erreurs que les TNC (Uber, Lyft) auparavant, et voir que celles-ci sont progressivement rachetées par celles-là.
Heureusement, les villes ont appris du passé. Elles ont progressé, bien aidées en cela par des entreprises du logiciel (panel “software”) comme Remix ou Ride.report. Ces startups les aident à collecter des données, les analyser et les utiliser pour prendre des décisions. Les collectivités collaborent aussi entre elles pour créer des standards : “nous avons besoin de penser comme des entreprises qui font des produits” a dit très justement Selena Reynolds, de l’Autorité de Los Angeles. D’où la création du Mobility Data Specification, un standard ouvert à toutes les startups désireuses de travailler avec les villes. “Nous ne voulons plus avoir de jardins fermés”, faisant référence aux solutions créées par Uber, Google ou Lyft qui enferment leurs utilisateurs derrière des portails multimodaux. La liberté des startups dans l’espace public n’est pas la même que sur le web : “les villes sont responsables des règles d’usage de l’espace public, il semble que les opérateurs ne l’avaient pas remarqué”, dira non sans humour le fondateur de Ride.report.
Proximité de la Silicon Valley oblige, le mot de la fin a été pour le “capital”, les venture capitalists. À la question perfide “êtes-vous en train de monétiser la marche à pied ?” (sous-entendu : les utilisateurs de e-scooters viennent-ils uniquement de la marche à pied ?), les investisseurs ont tenté la persuasion : les chiffres de fréquentation sont énormes, les types d’usage sont variés, représentant un potentiel de croissance très intéressant. La régulation est un vrai sujet (note pour moi : les leçons des années Uber sont retenues), et nous sommes conscients que cette activité est un business de hardware. Bref, beaucoup d’argent en jeu mais en connaissance de cause des enjeux spécifiques et des problèmes à résoudre.
En conclusion, je dirai que cette conférence très dense m’a permis de mieux comprendre la complexité des défis qui restent encore à relever pour le tout jeune écosystème des micromobilités. Malgré ses défauts de jeunesse, il présente un potentiel exceptionnel que n’avait pas celui de ses “ancêtres” l’autopartage, le ride-hailing (Uber, Lyft) ou le covoiturage. Il n’y a plus ici besoin des constructeurs automobiles. L’écosystème maîtrise toutes les couches du service : l’expérience utilisateur, le hard, le soft et le capital.
Reste une inconnue, et de taille : cet écosystème saura-t-il s’intégrer à son environnement mieux que ses prédécesseurs ? À savoir la ville, les infrastructures, les habitants, citoyens, visiteurs,…qui ont pour le moment été largement oubliés dans la frénésie du lancement.
Nous sommes peut-être en 1976, mais nous avons appris des 40 dernières années que certaines questions doivent être traitées avant d’avoir toutes les solutions. Souhaitant que des évènements tels que le lMicromobility Summit y contribuent. Et vivement la prochaine édition !
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