Manifeste pour les micromobilités

Oubliez tout ce que vous avez lu sur les mobilités. Le futur des transports sera léger, lent et convivial.

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Depuis plus de 7 ans que je scrute inlassablement l’horizon des nouvelles mobilités, j’en ai vu des “révolutions en puissance” ! L’économie du partage, l’ouverture des données, l’électromobilité, la voiture autonome, la blockchain et maintenant le MaaS

Si suivre l’actualité des technologies n’est pas très compliqué, il est difficile en revanche de prendre de la hauteur pour séparer l’essentiel de l’accessoire et distinguer l’étoile du feu d’artifice.

C’est pourquoi je suis toujours intéressé par les “manifestes”, ces textes qui donnent une vision globale des technologies dans l’histoire et la société. Je ne les prends pas pour des vérités absolues, mais comme une source d’inspiration, une grille de lecture des innovations à venir.

Aujourd’hui je voudrais partager avec vous le manifeste des micromobilités. Écrit par Horace Dediu, expert du marché du mobile et en particulier d’Apple, dont il analyse à l’envie le modèle et les résultats. C’est la vision d’un outsider, quelqu’un qui n’est pas du sérail mais connaît sur le bout des doigts la mécanique d’une autre révolution, la révolution numérique. Horace Dediu est également l’organisateur du Micromobility Summit, une conférence organisée ce mois-ci à Berkeley, dont ce Manifeste est en quelque sorte le motto, la raison d’être.

Je vous propose de commencer par lire ensemble ce manifeste, traduit et illustré librement par votre serviteur :

La mobilité est un droit humain fondamental. Nous sommes profondément curieux et avons toujours eu besoin de bouger pour satisfaire notre faim et notre soif. Pour nous mélanger aux autres et étendre nos horizons.

Pour cette raison nous avons toujours cherché à nous déplacer plus loin et plus vite. Nous avons dompté des animaux sauvages et construit des machines pour amplifier notre foulée.

Au début les machines amplifiaient les mouvements de nos jambes mais nous avons appris à récolter d’anciens rayons solaires pour propulser nos machines.

Afin de convertir cette ancienne lumière solaire en énergie, une réaction très violente est nécessaire. La réaction diffuse des gaz contenant du carbone. En petite quantité cela reste sans conséquence mais en grande quantité cela déstabilise le climat car le cycle du carbone de notre planète est délicat et lent.

Nos machines à carbone sont conçues pour maîtriser la violence : elles sont lourdes et ont besoin d’une enveloppe en acier.

Étant ainsi armés nous sentons que nous pouvons les conduire plus vite, et plus vite nous allons plus lourdes deviennent nos machines. Plus lourdes elles deviennent plus dangereuses elles sont et plus nous avons besoin de les renforcer.

Si vous n’avez pas besoin de combustion pour bouger vous n’avez pas besoin d’armure.

Micromobilité est un grand mot pour une petite idée. L’idée est petite car elle représente de petites machines. Machines qui ont la taille suffisante pour la tâche à exécuter : transporter des gens. Et non la taille imposée par le mécanisme qui les fait bouger. Des machines qui sont adaptées aux humains, pas à la violente réaction interne.

Que de tels engins soient disponibles maintenant est un témoignage de notre inventivité et nous considérons que l’inventivité est notre super pouvoir. Ce manifeste est un appel pour utiliser ce super pouvoir pour nous faire mieux bouger. Mieux bouger en se déplaçant plus gaiement, en meilleur santé et plus en harmonie. En harmonie avec notre environnement et les gens qui nous entourent ».

(la suite détaille les chiffres impressionnants de croissance des usages des vélos et trottinettes et des investissements privés dans le monde).

Le texte original est ici

Que faut-il penser de ce manifeste ?

L’entrée par le rapport poids de l’engin/masse transportée est scientifiquement intéressante et politiquement habile. Vous pouvez prendre l’équation de la mobilité dans n’importe quel sens – énergie, environnement, coût, efficacité, vitesse, encombrement, économie, sécurité,… – vous retomberez sur la question du poids des véhicules. Horace Dediu l’organisateur de la conférence considère que la micromobilité concerne “tous les véhicules de moins de 500 kilogrammes”. Car pour répondre à cette meta-contrainte, les véhicules devront obligatoirement adapter leurs fonctionnalités : puissance, autonomie, vitesse, encombrement,…Nul besoin de se battre pour savoir si l’hydrogène est meilleure que les batteries au lithium ou de risquer l’émeute pour imposer des limites de vitesse.

Cette idée n’est pas nouvelle : depuis des décennies des ingénieurs ont cherché à contrer le mode de pensée dominant que les “grosses berlines” sont la panacée pour se déplacer. La différence est qu’aujourd’hui, des technologies existent pour les rendre plus efficaces, robustes et sûres.

Donc ce n’est pas grave si vous n’aimez pas la trottinette ou le vélo. D’autres modes de déplacement – et d’autres usages – s’annoncent déjà. L’inventivité – et l’argent pour la financer – sont là. Beaucoup de ces startups sont fondées par des anciens ingénieurs d’Uber ou Lyft, avec en ligne de mire l’utilisation des technologies les plus pointues au service des engins les plus légers. Les investisseurs se félicitent eux de l’adoption massive par le public (plus rapide que celle d’Uber et Lyft, c’est dire) de moyens de transport infiniment moins coûteux à acheter et opérer que les voitures.

Est-ce à dire que les micromobilités vont remplacer les transports collectifs ? Certainement pas. Il n’y aura pas de “silver bullet”, de technologie magique qui remplacera tous les modes de transport. L’enjeu est au contraire de compléter les réseaux de transport “lourds”, rapides et structurants d’un territoire. 60 à 70% des déplacements quotidiens sont effectués sur de courtes distances (moins de 10 km). Proposer une solution accessible, peu coûteuse et décarbonée permettrait de répondre efficacement à cette demande tout en renforçant l’attractivité des réseaux structurants pour les déplacements en lien avec ceux-ci. L’important est de lâcher la machine de 1,5 tonne dont les 3/4 servent à transporter…la machine.

Devons-nous tolérer pour autant l’anarchie qui a accompagné l’arrivée de ces engins dans nos villes ? En d’autres mots, les piétons doivent-ils être les seuls à faire de la place à quelques startups américaines ou chinoises ? La réponse est dans la question : évidemment non.

La stratégie de growth hacking (traduisez : recherche de croissance obtenue à l’aide de leviers externes peu coûteux) comme le fait de répandre des milliers d’engins dans une ville sans autorisation est au mieux stupide, au pire suicidaire. L’exemple de l’échec d’Ofo, pourtant doté de plusieurs milliards de fonds pour se développer, devrait refroidir les plus téméraires.

Il ne faut pas jeter pour autant le bébé avec l’eau du bain. Aucun mode de transport ne s’est imposé dans la facilité au cours de l’histoire. Il a toujours fallu une succession d’initiatives privées, de croissances et de crises avant que de véritables infrastructures matérielles, juridiques et économiques se mettent en place. C’est difficile à admettre au pays de Colbert mais, répétons-le, aucun des modes de transports actuels ne s’est imposé « naturellement » et « par le haut ». Des villes et des acteurs privés sont déjà en train de construire ces infrastructures. Donnons-leur la parole.

Le smartphone n’a pas remplacé le PC. Il a créé d’autres usages.

Aujourd’hui une trottinette connectée, c’est un smartphone sur roulettes. Toute l’intelligence réside dans les capteurs et émetteurs qui la relient à des services décentralisés.

Il est temps de réaliser que le potentiel des nouveaux services de mobilité est inversement proportionnel à leur taille, comme cela a été le cas pour l’informatique. Que personne ne pense plus à transporter avec lui son coffre fort pour faire ses courses, ou son encyclopédie pour travailler. Que les automobiles actuelles sont les comme les PC des années 80, avec la pollution en plus.

Il est temps que la mobilité fasse sa révolution.

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