SpaceX : la nouvelle odyssée de l’espace

Retour sur les 15 années qui ont permis à Elon Musk de passer de millionnaire excentrique à fer de lance de la conquête spatiale américaine.

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SpaceX : la nouvelle odyssée de l’espace

Dernier article d’une série de 5 sur Elon Musk qui commence ici

Le 28 janvier 1986, la navette Challenger s’élevait dans le ciel glacé de Floride devant des millions de téléspectateurs. Ronald Reagan était le président d’une Amérique dont la conquête spatiale symbolisait la réussite face à l’ennemi soviétique. Mais 73 secondes après le décollage, les énormes réservoirs externes se désintégraient à cause d’une fuite d’hydrogène liquide. La navette spatiale, privée de ses propulseurs, tombait en chute libre et s’écrasait à plus de 330 km/h sur la surface de l’océan. Ses 7 membres d’équipage, dont l’institutrice Christa McAuliffe invitée par la NASA, étaient tués sur le coup.challenger explosion

Un nouveau drame en 1993 impliquant la navette Colombia mettra encore en cause la responsabilité de la NASA (voir l’infographie ici). La fin de la guerre froide réduira drastiquement les investissements militaires dans la “Guerre des Étoiles”. Le grand public se désintéressera d’une conquête jugée hors de prix, dangereuse et inutile. Depuis le dernier vol habité vers la lune en 1972, “l’industrie spatiale a rendu l’Espace ennuyeux” (Ashlee Vance).

30 ans plus tard pourtant, une fusée américaine se pose sur un “bateau-drone” de la taille d’un terrain de football, après avoir tranquillement mis en orbite un satellite commercial. Hergé en a rêvé, Elon l’a fait. Suivie par des millions d’internautes sur internet, bardée de caméras et de capteurs, la Mission CRS-8 de SpaceX marque un grand pas en réussissant cet “amerrissage” après 3 essais infructueux. La porte est ouverte pour des vols “10 fois moins chers” que leurs concurrents.

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Comment Elon Musk a-t-il réussi à créer une telle société en moins de 15 ans ? Retour sur une des aventures les plus extraordinaires de ce siècle.

1. Il est temps de faire des choses qui durent

En 2002, le Sud-Africain se fait évincer de la direction de Paypal (si vous avez raté le début, lisez notre article ici). Il est déjà riche, et la revente quelques mois plus tard de la société à eBay le rendra encore 10 fois plus riche. C’est le moment qu’il choisit pour “faire des choses qui durent”. “Je ne suis pas un investisseur. J’aime créer des technologies réelles dont je pense qu’elles sont importantes pour le futur” dira-t-il à Ashlee Vance dans sa biographie. Ce sera donc le spatial, domaine qu’il étudie avec passion depuis qu’il a 12 ans. Il quitte San Francisco et ses embrouilles pour Los Angeles, terreau des conquêtes aérienne et spatiale avec Howard Hugues, Boeing, Lockheed et la NASA.endeavour NASA

Après avoir soutenu Mars Society, une société de chercheurs et passionnés de Mars, Musk décide de se lancer dans l’aventure spatiale. Son idée est simple : avant d’envisager d’aller sur la planète rouge, il faut démocratiser le lancement de fusées grâce à la technologie. Comme de nombreux autres domaines – les medias avant les CMS, les serveurs avant le cloud ou la fabrication avant les machines à commandes numériques – l’industrie spatiale possède encore d’énormes marges de progrès. La capsule Soyouz qui emmène les astronautes à l’ISS comprend des éléments techniques et des écrans datant de son premier lancement en 1966. Les meilleurs ingénieurs se retrouvent à travailler dans des environnements technologiques dépassés et avec des contractants désespéréments lents.

2. Le lean de l’Espace

Un premier échec dans sa tentative d’acheter un missile intercontinental aux Russes convaincra Elon Musk de construire ses fusées lui-même. Musk rachète un entrepôt de 7000m2 dans la banlieue de Los Angeles, et recrutera un à un des spécialistes de la propulsion, de l’avionique et de l’électronique. Il s’assurera qu’ils possèdent une double compétence en mécanique et en programmation. Le livre d’Ashlee Vance (précité) raconte avec moults détails les débuts épiques de l’aventure. Le premier moteur est transporté en Hummer (sorte de 4X4 géant) jusqu’au Texas où l’équipe a trouvé un terrain d’essai. Les ingénieurs font fréquemment les trajets entre Los Angeles et ce site dans l’avion privé du patron, quitte à occuper les toilettes pour gagner une place. Il faut attendre mai 2005 pour que le premier test de moteur soit effectué sur la base militaire de Vandeberg (Californie). L’équipe découvre alors que l’obligation de passer par cette base représente une barrière à l’entrée pour un outsider comme SpaceX. Chaque retard dans le programme de la NASA impacte la disponibilité de la base parfois pour plusieurs mois. Qu’à cela ne tienne, Space X déniche une île proche de l’équateur dans l’archipel d’Hawai, Kwaj, où s’installe l’équipe dans des conditions très primaires. Ils dorment souvent sous des tentes, passant littéralement 24h/24 à bricoler leur fusée au milieu des moustiques et bêtes exotiques. Ils résolvent ainsi en quelques heures des problèmes qui prennent des semaines, voire des mois chez leurs concurrents.

Malgré l’opiniâtreté et l’efficacité des équipes à El Segundo et Kwaj, les retards s’accumulent. Ce n’est qu’en novembre 2005 qu’a lieu le premier lancement, en présence d’Elon Musk et son frère Kimbal. Échec : un problème de valve cloue la fusée au sol. Six mois plus tard, la fusée décolle enfin, mais retombe moins d’une minute après à quelques mètres du pas de tir. Un an passe encore jusqu’au tir suivant. En mars 2007, la fusée atteint une altitude nettement plus élevée, mais sa trajectoire se courbe pour terminer en pleine mer.

Pourtant, fidèle à son tempérament inoxydable, le Sud-Africain affiche un optimisme et une tenacité incroyables à ses équipes. Avant même que sa fusée Falcon 1 ait réussi sa première mission, il annonce aux medias la prochaine fusée : Falcon 9, qui aura deux blocs moteurs pour rejoindre la station spatiale internationale. Il se bat personnellement face au Congrès américain pour démontrer que SpaceX doit profiter des contrats juteux de la NASA. Ses arguments commencent à faire mouche : le fait de fabriquer en Californie ses propres moteurs et fusées alors que ses concurrents dépendent des Russes sera décisif, notamment avec la montée de la crise ukrainienne. Un premier contrat fédéral lui permettra de construire Falcon 9. Mais la troisième tentative de F-1 en août 2008 est un nouvel échec. L’entreprise est au bord du gouffre. Son burn rate (argent dépensé) est de 100 K$ par jour ! Musk a englouti près de 250 millions, la totalité de sa fortune personnelle dans ses deux entreprises, Tesla et SpaceX. Le prochain lancement sera sans doute celui de la dernière chance.

En juillet 2008, Falcon 1 réussit enfin sa première mission. Dans la foulée, la NASA passe avec SpaceX un contrat de 1,6 milliard de $ pour 12 missions. L’entreprise est sauvée. La vente de son autre entreprise, Tesla, à Google est stoppée (lire ici). Elon Musk a dépensé toute sa fortune, il a divorcé, vendu ses voitures, son jet et sa maison, mais il a gagné son pari.

3. Sky is No More The Limit

L’année suivante sera le début d’une croissance effrénée pour SpaceX. Entre juillet 2010 et Mai 2012, Falcon 9 et la capsule Dragon réussiront plusieurs missions d’approvisionnement de l’ISS, la station spatiale internationale. Dès 2011, Musk annonce au monde ses projets : construire des fusées réutilisables et…aller sur Mars. Le gouvernement fédéral est harcelé par Musk et ses représentants, afin d’ouvrir les contrats jalousement détenus par l’alliance ULA, Boeing et Loockheed Martin. Space X affiche des prix jusqu’à 30 fois moins élevés pour une fiabilité exemplaire (un seul échec en 19 missions). En 2014, Musk obtient un contrat de 2,6 milliards de $ pour transporter des astronautes dans l’ISS en 2017.

Après 4 tentatives infructueuses, Space X fait atterrir une fusée pour la première fois sur une plateforme fin 2015. Les lancements se succèdent avec 6 missions en 2014 et 8 en 2015. Ce n’est pas encore le “bus de l’espace”, mais on s’en rapproche.

4. Et après ?

Comme pour la voiture électrique avec Tesla, le monde entier commence à regarder les projets du Sud-Africain avec d’autant plus de sérieux qu’ils leur paraissaient fantaisistes il y a quelques années.

Dans une version très contemporaine de la “destruction créatrice” de Schumpeter, c’est désormais une société privée qui fait l’Histoire. Forte de 27 missions dont 15 ces deux dernières années, la société Space Exploration Technology ne compte pas s’arrêter là. Mettre des satellites en orbite n’est qu’une première étape. Réutiliser des lanceurs n’est qu’un moyen d’y arriver plus rapidement. À peine CRS-8 posée, SpaceX annonçait la suite : un “vol pour Mars dès 2018”.

En attendant le but ultime de Musk : envoyer des humains sur Mars, pas de manière exceptionnelle mais pour coloniser la planète rouge au cas où la terre deviendrait invivable. Malgré les défis technologiques gigantesques que représentent ce projet, on se prend à douter de moins en moins de ses chances de réussite. Après tout, nous parlons d’une entreprise qui a fait plus en 10 ans que des entreprises séculaires. Non, c’est un autre défi, beaucoup moins technologique celui-là, qui attend le Sud-Africain : ses congénères humains accepteront-ils de le suivre sur Mars ? Et vous : serez-vous partant-e ?

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1/ En attendant Elon : pourquoi le monde a-t-il arrêté d’innover il y a 50 ans : ici

2/ L’enfant prodige : les années avant Tesla ici

3/ Think Big, Act Small : les secrets d’Elon Musk l’entrepreneur ici

4/ Tesla Motors : et si le rêve d’Elon Musk devenait réalité ? ici

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