En attendant Elon…
20 ans après la création d’internet, le monde se demande toujours comment régler ses plus grands problèmes, de la fin des maladies à l’énergie propre. La faute aux entrepreneurs et aux dirigeants de nos États ? C’est l’opinion du magnat Peter Thiel, qui fustige le manque d’ambition de la génération issue du babyboom. Heureusement, certains entrepreneurs relèvent le défi de « sauver le monde » avec des méthodes hors du commun. Article d’introduction à une série de posts sur Elon Musk.
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En attendant Elon…
“Les meilleurs cerveaux de ma génération ne pensent qu’à trouver la dernière manière de vous faire cliquer sur une publicité. Ça craint”. Dès 2011 Jeff Hammerbacher, ancien Data God chez Facebook, résumait bien l’un des grands paradoxes de l’économie numérique : l’immense majorité des start-up ne cherche qu’à capter une partie de la valeur existante et non résoudre les grands problèmes du monde.
1. Qu’est-il arrivé à notre futur ?
En 2012 Bruce Gibney dans “Qu’est-il arrivé à notre futur ?” soulignait que, malgré le potentiel extraordinaire des nouvelles technologies, bien peu d’entrepreneurs s’attaquaient aux enjeux fondamentaux de notre avenir : l’énergie, la congestion et la pollution liées aux transports, le coût des médicaments, la prise en charge des maladies,…L’essentiel de la Loi de Moore (augmentation exponentielle des capacités de traitement de l’information) aurait été utilisée pour des objectifs non essentiels.
Selon Gibney l’innovation ralentirait même depuis les années 60 ! La cause : les investisseurs préfèrent miser sur des innovations incrémentales et des marchés connus plutôt que sur des innovations de rupture et de nouveaux marchés (lire le manifeste ici).
2. Recherche visionnaire désespérément
Deux ans plus tard, Peter Thiel, associé de Gibney dans Founders Fund, développera le propos dans son magistral Zero To One. Le livre critique l’attitude des entreprises et des États face au futur. Selon lui, c’est une vision à la fois “incertaine” et “pessimiste” du futur qui serait responsable des principaux problèmes d’aujourd’hui. Le CEO de Palantir classe ainsi les projets selon deux principaux critères :
- la vision du futur est soit certaine, soit incertaine (definite or indefinite) : “une personne certaine détermine la meilleure chose à faire et le fait. Ce n’est pas ce que les jeunes font aujourd’hui, parce que chacun autour d’eux a perdu la foi dans un monde déterminé”
- la vision du futur est soit optimiste, soit pessimiste : “vous pouvez attendre du futur qu’il soit meilleur ou pire que le présent. Les optimistes accueillent le futur; les pessimistes le craignent.
Combiner ces possibilités produit 4 visions différentes, correspondant pour chacune à une période historique pour un continent :
- le pessimisme incertain (Europe) : “le pessimiste incertain regarde le futur, mais ne sait pas quoi faire avec. Ceci décrit l’Europe depuis les années 70, quand le continent a cédé à une dérive bureaucratique sans direction. Aujourd’hui l’Eurozone toute entière est en crise au ralenti, et personne n’est au commande (…) Les Européens ne font que réagir aux évènements tels qu’ils arrivent en espérant que les choses n’empirent pas. Le pessimiste incertain ne sait pas si le déclin inévitable sera rapide ou lent, catastrophique ou graduel. Tout ce qu’il peut faire est d’attendre sa venue en mangeant, buvant et s’amusant : ce qui explique la fameuse manie de l’Europe pour les vacances”. Ouch.
- le pessimisme certain (Chine) : le pessimiste certain sait que le futur peut être connu, mais bien qu’il soit morne, il doit s’y préparer. “Étonnamment, la Chine est probablement le pays le plus certainement pessimiste dans le monde aujourd’hui (…) La manière la plus simple pour la Chine de croître est de copier obstinément ce qui a déjà marché dans l’Ouest. Et c’est exactement ce qu’ils font : exécuter des plans prévus en brûlant plus de charbon pour construire plus d’usines et de gratte-ciel”. Mais, selon Peter Thiel, les Chinois eux-mêmes savent qu’ils ne parviendront pas à atteindre les standards de richesse des Américains. D’où leur pessimisme : “les plus riches font tout pour sortir leur argent du pays, et les plus pauvres mettent de côté tout ce qu’ils peuvent”.
- l’optimisme certain (USA avant 1980) : “pour l’optimiste certain, le futur sera meilleur que le présent si il le planifie et travaille à le rendre meilleur. Du 17ème siècle à la fin des années 60, les optimistes certains dirigeaient le monde occidental. Scientifiques, ingénieurs, médecins et businessmen ont rendu le monde plus riche, en meilleure santé et avec une espérance de vie plus longue que ce que l’on pouvait imaginer auparavant (…) Dans les années 50, la population accueillait favorablement les grands plans et demandaient quand ils allaient être mis en place (…) . Cette vision optimiste a permis au monde occidental de mener à bien d’immenses travaux et découvertes, du Canal de Suez à la conquête spatiale en passant par les autoroutes et le Projet Manhattan (nucléaire civil et militaire). Ce n’est plus le cas depuis les années 80.
- l’optimisme incertain (USA depuis 1980): après une brève phase de pessimisme dans les années 70, les USA sont dominés selon Thiel par un optimisme incertain depuis 1982 (années Reagan). Pour un optimiste incertain, le futur sera meilleur, mais il ne sait pas exactement pourquoi et ne fera aucun plan pour l’améliorer. “Si vous êtes né(e) dans les années 45-55, les choses se sont améliorées chaque année sans que cela n’ait rien à voir avec vous. Pour les plus riches, chaque année de votre vie d’adulte était automatiquement meilleure que la précédente”. Selon l’auteur, même si le reste de leur génération a été laissée de côté, les riches baby boomers qui façonnent l’opinion publique ne voient aucune raison de questionner leur optimisme naïf. Ayant suivis une carrière toute tracée et sans problème, ils ne peuvent imaginer qu’il n’en sera pas de même pour leurs enfants. Le baby boom a produit une génération d’optimistes incertains, qui privilégient la chance à la décision, le hasard à l’action. C’est pourquoi les décideurs contemporains, entreprises et gouvernements, sont selon lui incapables de proposer autre chose que des assurances pour construire le futur : sécurité sociale, assurances privées, banques, rachats d’actions en bourse,…”Alors qu’un futur optimiste et certain aurait besoin d’ingénieurs pour construire des cités sous-marines et des villes dans l’espace, un futur incertain demande plus de banquiers et plus d’avocats (…) Les meilleurs diplômés vont à Wall Street justement parce qu’ils n’ont aucun plan pour leur carrière.”
3. Et si c’était lui ?
Construire des villes dans l’espace ? C’est justement le projet d’un autre ancien associé de Peter Thiel : Elon Musk. La lecture de sa biographie “Elon Musk : Tesla et Space X, la quête d’un futur fantastique” (Ashlee Vance) m’a convaincu que si quelqu’un était en train d’essayer d’accomplir une vision optimiste et certaine, c’était bien lui.
Aaron Levie, le fondateur de Box, décrit ainsi le livre de Vance : “ce livre excitant va vous donner envie de lancer une entreprise de voitures, construire des fusées et aller sur Mars. Le seul problème sera lorsque vous réaliserez que vous n’êtes pas Elon Musk”. Il est vrai qu’aujourd’hui Elon Musk est impliqué dans l’automobile, la conquête spatiale, l’énergie solaire, le stockage d’énergie, les satellites, les transports terrestres à grande vitesse, l’expansion multi-planétaire et l’intelligence artificielle. Mais cette frénésie entreprenariale ne sert qu’une seule et même vision : sortir de l’ère du pétrole pour sauver la planète avant qu’il ne soit trop tard. Et en cas d’échec, conquérir l’espace pour sauver l’espèce humaine. Et le tout en une génération : la sienne, et – presque – par ses propres moyens. “C’est un paradoxe qu’Elon travaille à améliorer notre planète en même temps qu’il construise des vaisseaux spatiaux pour nous aider à la quitter” nous dit son ami Richard Branson. Paradoxe ou non, Elon Musk a déjà accompli à à peine 45 ans beaucoup plus que la plupart des grands entrepreneurs de l’ère industrielle. Et ce avec des moyens infiniment moins élevés, et en luttant contre les lobbys politiques qui soutiennent les “dépensiers” (NASA, constructeurs automobiles et fournisseurs d’énergie). “Voici le type qui a pris le meilleur de l’éthique de la Silicon Valley pour bouger rapidement et faire tourner des organisations sans bureaucratie, et l’utiliser pour construire de grandes et fantastiques machines, à la recherche de choses qui ont le potentiel de réels changements dont nous avons tous besoin” (Ashlee Vance). Celui qui se décrit comme “90% ingénieur et 10% playboy” détient une capacité de travail hors du commun qui lui permet de diriger trois entreprises de taille mondiale.
Mais au-delà du personnage, ce qui m’a intéressé est la manière dont Elon Musk utilise les technologies et sa foi dans la science pour résoudre ces « grands problèmes ». Le monde commence à comprendre que les solutions proposées par Tesla, Solar City et SpaceX auraient dû être développées depuis longtemps par les gouvernements : voitures électriques, production d’énergie propre et décentralisée, conquête spatiale à moindre coût. Les jeunes ingénieurs du monde entier ne s’y trompent pas : ce n’est plus chez Facebook ou Apple qu’ils vont mais chez Tesla et SpaceX. Ce que Peter et Jeff ont rêvé, Elon l’a fait.
Je vous propose de partager avec vous ce que j’ai compris de la lecture de cette biographie ainsi que de nombreuses autres sources ici
2/ L’enfant prodige : les années avant Tesla ici
3/ Think Big, Act Small : les secrets d’Elon Musk l’entrepreneur ici
4/ Tesla Motors : et si le rêve d’Elon Musk devenait réalité ? ici
5/ SpaceX : la nouvelle odyssée de l’espace ici
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Image d’en-tête : création 15marches (d’après Shepard Fairey)
Schémas 1. : Founders Fund
Schéma 2 : Zero to One
Photo 3. : couverture du livre « Elon Musk » par Ashlee Vance
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