La méthode Apple (1/3) : design et designers
En presque 40 ans, Apple a conquis une place unique dans l’univers de la micro-informatique puis du mobile. L’entreprise aborde maintenant le marché des objets connectés dans la meilleure position. Quels principes a-t-elle mis en oeuvre pour y parvenir ? Premier opus d’une série de 3 sur les raisons du succès d’Apple.
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Apple est un cas à part. Des 4 « géants des technologies » avec Google, Amazon et Facebook, c’est celui dont le succès semble le plus facile à comprendre : il conçoit et vend des appareils qui permettent de travailler, communiquer et se distraire. Il n’a pas son pareil pour rendre ses produits désirables, simples à utiliser et addictifs. Malgré des prix beaucoup plus élevés, il vend des centaines de millions de produits chaque année . Une sorte d’équation parfaite entre avantages des marques de luxe et grand public, pour le plus grand bonheur de ses actionnaires. J’ai sélectionné parmi les nombreux points forts de la marque les trois principaux suivants :
– la simplicité de l’expérience utilisateur avant tout (partie 1 présentée ci-dessous)
– la maîtrise de l’ensemble des canaux de distribution (partie 2 à lire ici)
– la capacité à s’insérer dans son éco-système pour en tirer le maximum de profit (partie 3 à lire ici )
J’espère que la description de ces principes pourra vous aider à améliorer votre propre activité. Même si vous n’êtes pas Steve Jobs.
Partie 1. Design et designers
Apple a poussé ces principes fondateurs au maximum en les appliquant à l’ensemble de son identité.
1. Considérer le design comme l’identité de votre marque
Les produits d’Apple sont devenus des icônes contemporaines, qui trouvent leur place dans les musées. L’Apple II a lancé l’informatique personnelle. L’iPod, l’iPhone et l’iPad ont généralisé l’usage des objets nomades. Aucun de ces produits n’était pionnier sur son créneau. Mais tous ont contribué à modifier les pratiques antérieures en facilitant leur usage par le plus grand nombre. La rencontre en 1982 de Steve Jobs avec Helmut Esslinger de l’agence Frog est décisive : Apple est déjà célèbre pour son Apple II, mais le design initial de celui-ci est pauvre. Le designer allemand va convaincre l’Américain amoureux des Porsches que le design language doit être l’élément central de sa jeune entreprise. [lien vers l’article ici] Le design language est un système visuel qui comprend la signature et la forme des éléments, matériaux, couleurs, motifs et textures. Il permet de proposer une gamme de produits variée mais avec un « look and feel » unique. Si vous possédez plusieurs appareils Apple, vous comprenez sûrement de quoi il s’agit. On retrouve cette quête de simplicité dans le travail d’un autre designer allemand, Dieter Rams, dont l’influence du travail notamment chez Braun est reconnue par Apple [Lien vers les 10 principes de Dieter Rams ici ]
Dieter Rams dira lui-même qu’Apple a réussi ce qu’il n’a jamais réussi : « utiliser le pouvoir de ses produits pour persuader les gens de faire la queue pour les acheter ». [Lien vers l’article original : ici ] La simplicité concerne tous les domaines : Steve Wozniak, l’associé des premiers jours de Jobs, excellait dans l’art de simplifier les composants électroniques. Beaucoup d’innovations d’Apple sont des prouesses technologiques : poids, finesse, robustesse, définition des écrans, etc. Dans l’article suivant, nous décrirons l’exigence de l’intégration logicielle/matérielle, la manière de surfer sur le net, l’ergonomie des mobiles et les liens entre off- et online. Dans tous ces domaines, la simplicité d’utilisation a toujours été le guide, et pour beaucoup dans le succès des produits et services d’Apple.
Le principe keep it simple se résume dans la phrase suivante d’Antoine de St-Exupéry : « la perfection est atteinte non pas quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à enlever ».
2. Mettre le design au Conseil d’Administration de votre entreprise
Steve Jobs a découvert très tôt que l’ennemi d’un projet pouvait se trouver autant dans l’entreprise qu’au dehors. Organisation en silo, luttes de pouvoir entre services et manque de communication suffisent à dénaturer un projet initialement bien conçu. Nous avons tous de bons exemples de projets internes largement « alourdis » par les exigences successives de chaque département. Esslinger va conseiller au Californien de contrôler lui-même la conception et la réalisation de l’ensemble des matériels, logiciels et contenus. Le design chez Apple sera rattaché directement à lui : il sera moins dépendant des contraintes techniques et commerciales mises en avant par ses équipes. Dans sa biographie, Walter Isaacson raconte l’anecdote suivante : Steve Jobs rencontre en 1996 un jeune admirateur qui lui demande de dédicacer son clavier d’ordinateur (un modèle lancé lorsque le fondateur n’était plus chez Apple). Jobs accepte, mais à condition de pouvoir supprimer préalablement certains boutons du clavier ajoutés par ses successeurs et « contre lesquels il s’était toujours battu » (des boutons « fonctions » et des flèches de navigation). Il sort alors une clé de voiture et les arrache lui-même, avant de signer le clavier et le rendre à son propriétaire… [Pour lire le récit (anglais) : ici] Au-delà de l’anecdote, le geste de Jobs rappelle que le design souffre peu la négociation : éviter que le cordon d’alimentation n’entraîne la chute de l’ordinateur, éclairer le clavier dans l’obscurité, permettre un transfert facile des fichiers, trouver un vendeur compétent… ne sont pas des gadgets ni des options. Ils représentent parfois des milliers d’heures de code, des prouesses technologiques. Comme le dit très bien le designer Ara Balkan, « le design ce n’est pas dessiner de jolis dessins », mais « le design règle les problèmes de l’utilisateur ». [lire l’article en intégral (anglais) ici ] On retrouve cette attention quasi-paranoïaque chez Jeff Bezos, fondateur et patron d’Amazon (à lire aussi notre série sur Amazon). À de multiples étapes de la vie de l’entreprise, le CEO va imposer personnellement ses choix de conception et de fonctionnement du site amazon.com ou encore du Kindle. Un des ses anciens employés le décrit ainsi : « Jeff Bezos est un micro-manager notoire. Il micro-manage chaque pixel du site Web de vente de détail d’Amazon (…) Ces millions de pixels étaient comme ses enfants ». [consulter l’article intégral sur le blog colin-verdier ici]. Revenu aux affaires en 1997, Jobs poursuivra son œuvre en s’entourant de designers exceptionnels comme Jonathan Ive , à qui l’on doit les réalisations les plus réussies des 20 dernières années.
Comme le disait Dieter Rams dans l’article cité plus haut : “j’ai toujours observé que le bon design ne pouvait émerger que s’il y avait une solide relation entre l’entrepreneur et le responsable du design. Chez Apple cette situation existe, entre Steve Jobs et Jonathan Ive. C’était le cas chez Braun où j’ai toujours travaillé directement pour Erwin et Artur Braun ou, après leur départ, le PDG de l’entreprise ».
Le design n’est pas un accessoire ou un artifice que l’on ajoute à la fin pour mieux vendre. Il est au cœur du projet, et pour cela le designer doit être directement aux côtés des décideurs et bénéficier de super-pouvoirs.
3. Rendre la technologie séduisante et…transparente
Dans 2 articles récents, la revue américaine Wired évoque la possibilité que les futurs objets « connectés » et autres « technologies portables » ne séduisent que les « geeks » et autres fans de technologies. (les geeks ce sont ceux qui jouent à « call of duty » dans la vidéo de Norman sur les Apple Addicts). Il prédit même qu’elles subiront le sort des oreillettes bluetooth si leur conception n’est pas radicalement modifiée. L’article évoque le « principe de Bluedouche », jeu de mot à partir de « blue » comme Bluetooth, et « douche » qui signifie en américain… « connard ». Cet adjectif s’appliquait en 2007 à ceux qui se promenaient toute la journée avec une oreillette clipsée à l’oreille (comme le livreur de bonbonnes d’eau). « Malgré tous leurs efforts, les sociétés de technologies portables n’ont jamais réussi à les débarrasser de cette image de nazes. C’est parce que les technologies portables envoient un message social (…) : que leur porteur peut recevoir ou passer un appel à tout moment, ce qui n’est pas un message cool ». Le second article doute de l’envie des gens d’intégrer un produit dans leur espace personnel, aussi envahi soit-il déjà par les smartphones. « Le secteur doit changer son état d’esprit pour faire le saut des early adopters (ceux qui ne ratent pas une nouveauté), plutôt masculins et avant tout fans de technologies, à la majorité des utilisateurs qui ne le sont pas, voire qui sont effrayés par les premiers« . [Lire les articles (anglais) ici et là] Le récent succès de Nest, racheté par Google pour 3 milliards de dollars, semble confirmer cette hypothèse.
Nest, c’est d’abord un design épuré à l’extrême et une ergonomie simplissime. Nest réalise des « thermostats aussi intelligents que des smartphones ». On ne parle nulle part de technologies. Il n’y a pas de montage ni de mode d’emploi. Ça ne vous rappelle rien ? Tony Fadell, le fondateur de Nest, a été responsable de la division iPod de 2005 à 2010 aux côtés de Jonathan Ive. Il est sur la photo un peu plus haut. C’est un des principaux atouts d’Apple : réussir à rendre attractifs au plus grand nombre des produits technologiques jusqu’alors conçus par des ingénieurs pour des geeks. L’iMac a sorti l’ordinateur des bureaux pour les exposer dans les salons et vitrines. On pose son iPhone sur la table du restaurant comme s’il s’agissait de sa plus belle montre. Considérer la technologie comme un moyen et non une fin. Travailler jusqu’au vocabulaire pour effacer toute mention de celle-ci qui ne soit pas utile à l’expérience utilisateur. Ces principes ont fait un succès que rien ne semble arrêter. Ils feront sans doute celui des prochains Apple qui fourbissent leurs armes.
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À suivre prochainement : partie 2 : Maîtriser l’expérience utilisateur et partie 3 : My Plateform is Rich
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