Elon Musk l’enfant prodige : de l’Afrique du Sud à la Silicon Valley
Récit des premières années d’Elon Musk, celles qui permettent de comprendre sa tolérance au risque et sa capacité de travail hors du commun.
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[ce post est le deuxième d’une série de cinq sur Elon Musk, Tesla et Space X. Lire le premier ici]
Nous sommes début 2013. Elon Musk et Larry Page négocient le rachat de Tesla Motors par Google. Le fondateur de Google fut l’un des tous premiers acheteurs de la Tesla Roadster, ce véhicule tout électrique fabriqué dans la Silicon Valley et capable de monter de 0 à 100 km/h en moins de 6 secondes. Il a investi à titre personnel dans l’entreprise dès sa fondation en 2003. Dix ans après, lever de nouveaux fonds ne suffit plus. La sortie de la Model S six mois auparavant, avec sa ligne élancée et ses poignées rétractables, mettait pourtant fin à des années de rumeurs et critiques sur la marque et son fondateur. Mais les voitures livrées souffrent de bugs importants et certaines prestations ne sont pas à la hauteur de la riche clientèle visée. Les annulations de commandes se comptent par milliers. Le doute s’installe sur la pérennité de l’entreprise. Son cours de bourse est massacré par les investisseurs. Elon Musk commence par décréter la mobilisation générale : il vire sine die les dirigeants qui lui avaient caché la situation et les remplace par de jeunes ingénieurs motivés. Surtout, il impose à tout son personnel de consacrer 100% de son temps à appeler une à une chaque personne ayant passé une pré-commande pour finaliser la vente. “Je m’en fiche de savoir quel est votre job actuel : votre nouveau job est de livrer ces voitures”.
Sa deuxième entreprise, Space X, est hors de danger. Après avoir essuyé 3 échecs pour autant de premiers lancements, elle a reçu de la NASA une commande d’1,6 milliard dans la foulée de son premier lancement réussi en 2008. Mais Elon Musk refuse de sacrifier une entreprise pour sauver l’autre. Il se tourne donc vers son grand ami Larry Page (ce dernier a déclaré que « s’il mourrait le premier il cèderait sa fortune à Musk pour qu’il atteigne ses objectifs ») et lui demande de sauver Tesla. Sa demande : racheter l’entreprise pour 6 milliards de dollars, réinvestir dans l’outil de production afin de sortir le modèle grand public que Musk appelle de ses voeux, et le maintenir à sa tête pendant 8 ans pour éviter qu’un autre dévie de cet objectif. Les deux hommes sont d’accord sur l’essentiel, mais les juristes de Google ajoutent quelques conditions qui ralentissent la finalisation de l’accord. Et ce délai suffit pour que le miracle s’accomplisse : dopées par l’implication des salariés de Tesla, les ventes dépassent toutes les espérances, et l’entreprise publie ses premiers résultats positifs le trimestre suivant. 11 millions de bénéfices pour 560 millions de chiffre d’affaires, il n’en faut pas plus pour retourner la bourse. Le cours de l’action double. L’embauche d’un ancien de Mercedes-Benz permet de régler les bugs de la Model S, et le prestigieux magazine Consumer Reports lui délivre l’incroyable note de 103/100. Jamais une voiture n’avait obtenu cette note, a fortiori une voiture électrique. Le deal avec Google est abandonné. Les commandes affluent. Tesla rembourse en avance et avec intérêts le prêt de 465 millions de dollars accordé par le Gouvernement américain. Musk a gagné.
Cet épisode de near death experience n’est pas le premier dans la vie épique du fondateur de Tesla et Space X. Celui qui a consacré la totalité de sa fortune personnelle (jusqu’à revendre sa voiture) à créer deux startups dans des domaines où personne ne s’était risqué auparavant – l’automobile et le spatial – possède une détermination hors du commun. Cette volonté est portée par une vision forgée très tôt dans l’enfance, alors qu’il n’était qu’un adolescent en Afrique du Sud. La vision d’une humanité débarrassée du pétrole et tirant le meilleur parti des technologies pour régler ses grands problèmes : environnement, génétique, intelligence artificielle, conquête de nouveaux territoires. Une vision qu’il mettra trente ans avant d’envisager concrètement.
1. L’aventure dans la peau
Elon Musk est né en 1971 à Prétoria en Afrique du Sud, d’un père ingénieur et d’une mère ayant exercé de nombreuses activités (elle fait toujours la couverture de Elle à 67 ans). Son frère Kimbal sera son associé dans sa première entreprise, Zip2, et investira dans ses autres aventures avant de devenir cuisinier à New York et dans le Colorado. Sa soeur Tosca est productrice à Hollywood. On doit à cette dernière la formule suivante : “il y a quelque chose de différent dans notre famille : nous prenons plus de risques que les autres”. Cette capacité à prendre des risques peut trouver son origine dans la vie aventureuse de ses grands-parents maternels. En 1950 les époux Haldeman quittent une situation tranquille au Canada pour s’installer en Afrique du Sud. Ils y emmènent leurs 5 enfants (dont la mère d’Elon) et leur Bellanca Cruisair. Leur monomoteur les transportera dans d’immenses voyages aériens, reliant l’Afrique du Sud à la Norvège puis poussant jusqu’en Australie aller-retour. Pour ce dernier voyage sans instrument ils survolent les côtes africaines, arabiques, indiennes et malaisiennes sur plus de 30 000 miles. Lorsqu’ils ne sont pas dans les airs, les Haldeman parcourent le désert de Kalahari en camion avec leurs 5 enfants pendant un mois. Cette approche de “laissez-faire” dans l’éducation sera reproduite par la mère d’Elon pour ses propres enfants. “Leurs enfants n’étaient jamais punis, et Joshua (le grand-père) croyait qu’ils trouveraient seuls leur propre manière de se comporter (…). On nous laissait avec l’impression que nous étions capables de tout faire. Nous devions juste prendre une décision et l’exécuter”. Elon a été bercé dans son enfance par les récits de sa mère. “Mon grand-père avait ce désir d’aventure, d’exploration, de faire des choses folles” (in Ashlee Vance). Dans sa biographie, Elon affirme penser que sa tolérance inhabituelle au risque lui vient directement de son grand-père.
2. “Aucun signe qu’il allait devenir milliardaire”
Cette phrase, recueillie par Ashlee Vance de la part d’un ancien camarade de classe, résume bien l’incompréhension de ses proches face au comportement du jeune Musk. Celui-ci n’avait pas le profil du jeune premier à qui tout réussit. Plutôt un introverti qui passait 10 heures par jour à lire. Que lisait-il ? Des sciences (il a descendu toute l’Encyclopedia Brittanica), de la science-fiction, puis des philosophes. Pas de quoi se faire beaucoup d’ami-e-s quand on est surnommé “Monsieur Je-sais-tout”. L’arrivée du premier ordinateur dans la maison familiale lui permettra de marier sa passion pour les sciences et celle pour les jeux de rôles. À 13 ans il vend 500 dollars le premier jeu vidéo de sa création, Blastar, à un magazine de geeks. Il avait appris à coder en seulement 3 jours, presque sans dormir. Cette capacité exceptionnelle de concentration lui permet de mémoriser quasiment tout ce qu’il lit et entend sans prendre de note. “Il répète dans ses interviews les mêmes choses depuis des décennies, parfois mot pour mot”. Ses connaissances en physique et chimie (il lance ses premières fusées dès le collège dans la cour de l’école) l’aideront à recruter les meilleurs ingénieurs chez Tesla et Space X et à les challenger sans relâche pour améliorer les technologies. Alors que ses amis l’emmènent à Las Vegas pour décompresser, il passe le week-end plongé dans un manuel de fusées russes. Cette maîtrise lui permettra de prendre des décisions industrielles fondatrices : alors que les militaires russes refusent de lui vendre une fusée pour démarrer Space X, il décidera de construire seul ses propres lanceurs sur la base d’un simple tableur XL alimenté par ses connaissances. Les experts reconnaîtront que les hypothèses posées étaient tout à fait réalistes. On connaît la suite.
3. Go West
Mais avant cela, Elon Musk quitte l’Afrique du Sud à 17 ans pour rejoindre un vague grand-oncle au Canada.“America was the place to get things done” dira celui pour qui l’Afrique du Sud était “comme une prison”. Le grand-oncle a quitté le pays depuis longtemps : Elon commence un périple d’un an à travers le Canada où il vit de petits boulots. Il cueille des légumes, coupe du bois et nettoie les cuves d’une scierie, le job le mieux payé et le plus dur du marché. Une loi opportune lui permet de bénéficier de la nationalité américaine en raison des origines de sa mère. Entré plus tard à la Penn University, il va peu en cours et gagne sa vie en réparant des PC. “Pourquoi devrais-je travailler pour avoir un A alors qu’il y a tant de choses à apprendre par ailleurs ?” demande celui qui a presque tout appris par lui-même. Cela ne l’empêche pas de travailler comme un fou : “s’il y avait un moyen de ne pas manger, cela me permettrait de travailler plus sans avoir besoin de m’arrêter pour manger” dit-il a un ami.
4. Dot Com Mania
Elon et son frère Kimbal décident de rejoindre la Silicon Valley en 1995, the place to be pour les entrepreneurs de tout poil. Après quelques jours à Stanford, Elon abandonne ses études pour créer Zip2, un site qui permettra aux commerçants de tirer parti d’internet pour trouver des clients. Les deux hommes trouvent les bureaux les moins chers de Palo Alto dans lesquels Elon passera littéralement 24h/24, dormant sous son bureau. Le résultat est une sorte de mix entre Yelp et Google Maps, un guide pratique géolocalisé. May la mère des deux frères participe aux réunions : c’est elle qui aura l’idée de la double-flèche qui permet en un clic de trouver l’itinéraire du retour une fois saisi l’aller. Après différents déboires avec leurs investisseurs, les frères Musk revendent Zip2 à Compaq pour 307 millions de dollars (et oui, c’était la dot com mania…) ! Elon empoche 22 millions en cash. Il n’a que 27 ans. La vieille BMW 320 est remplacée par une incroyable Mac Laren F1, qu’il réceptionne au pied de sa nouvelle maison de Palo Alto.
Son statut de nouveau millionnaire ne l’empêche pas d’avoir d’autres idées en tête. Il part “en quête d’une industrie qui a beaucoup d’argent et d’inefficacité et qu’internet pourrait disrupter” (A.Vance). Un stage effectué dans une banque lors de ses études avait créé un choc chez lui. “Les banquiers sont riches et bêtes (…) Tout ce que font les banquiers est de copier ce que les autres font (…) L’argent n’est qu’une entrée dans une base de données”. Il lance X.com , dont l’ambition est de devenir un full service en ligne, offrant épargne, compte courant, assurance et courtage. Elon voit (trop) loin : alors que les gens avaient du mal à acheter un livre en ligne, il veut créer de toute pièce une institution financière. Si internet se développe de manière exponentielle à l’époque en Amérique, acheter en ligne signifie encore donner son numéro de carte de crédit à un inconnu. Mais nous sommes en 1998, en pleine bulle de l’internet. Une autre startup travaille sur le même sujet : Confinity, fondée par Max Levchin né en Ukraine et Peter Thiel (lire ici). Le hasard les fera s’installer quasiment dans le même immeuble qu’X.com. Les deux sociétés font face aux mêmes défis : attirer le maximum de client tout en évitant la fraude massive à l’époque. Ils décident de se rapprocher un an après, début 2000. Alors que Musk part en voyage de noces à Sidney, son avion s’est à peine posé qu’il apprend que certains des salariés de X.com fomentent un putsch contre lui. Mécontents du management et des choix stratégiques de Musk, ils soutiennent Peter Thiel comme CEO de la nouvelle entité, baptisée Paypal. Musk revient en catastrophe mais devra se rendre à l’évidence et céder la place de CEO. En pleine crise des valeurs technologiques, Paypal entre en bourse en 2002 puis est rachetée par eBay dans la foulée pour 1,5 milliard. Elon Musk a été évincé de sa société, sa vision initiale limitée au paiement en ligne et ses choix technologiques rejetés. Mais il est resté le premier actionnaire de Paypal et empochera 250 millions de dollars suite au rachat. Il gardera un profond ressentiment de cette période et se méfiera toujours des investisseurs et de la bourse. Mais il est plus riche que jamais et peut vivre de sa fortune.
5. Il est temps de faire des choses qui durent
Lorsqu’il se demandait ce qu’il voulait faire de sa vie, Musk utilisait comme point de départ la question suivante : “qu’est-ce qui va le plus affecter le futur de l’humanité ? La réponse est arrivée avec une liste de 5 choses : internet, l’énergie durable, l’exploration spatiale, l’intelligence artificielle et reprogrammer le code génétique” (cité par Tim Urban dans waitbutwhy.com). Une ancienne relation raconte également que le jeune Musk rencontré lors d’une soirée l’avait abordé en lui demandant “et toi, que penses-tu de la voiture électrique ? Moi je pense beaucoup à la voiture électrique”. Durant ses études, il avait écrit un essai intitulé “The importance of being solar”, dans lequel il imaginait la powerstation du futur : des panneaux solaires de 4 km de diamètre en orbite dans l’espace, avec des antennes de 7 km. Il obtiendra l’équivalent d’un 19/20. Près de dix ans plus tard, Elon Musk a créé et revendu 2 entreprises en survivant à plusieurs putschs. Il est richissime, a épousé son amour de jeunesse et est entouré de sa famille. Plutôt que de devenir lui-même investisseur et couler de beaux jours dans la Valley, le nouveau trentenaire fait un tout autre choix. “Je ne suis plus un enfant prodige : il est temps de faire des choses qui durent”. Temps de s’attaquer au futur de l’humanité.
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Principales sources de cet article : ashleevance.com et waitbutwhy.com
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