4 scénarios pour la Ville Numérique de demain
Et si on passait le concept de smart city à la moulinette des facteurs de réussite de l’innovation numérique ?
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En juin dernier, Google annonçait la création de Sidewalk Labs, une “entreprise d’innovation urbaine dédiée à l’amélioration de la vie en ville des résidents, actifs et municipalités ». Sidewalk propose de créer des services « à l’intersection des mondes physiques et numériques ». Par exemple, reconvertir des anciennes cabines téléphoniques à New York pour créer plus de 10 000 hotspots, accès publics gratuits au WiFi.
Allons-nous un jour voir nos bons vieux services publics remplacés par des solutions designed in Mountain View (ou Cupertino, ou Seattle) ? Difficile à croire : toutes les villes ne sont pas comme New York rompues aux partenariats publics-privés de grande ampleur. Qui dit ville dit domaine public, action publique, commande publique,… Pourtant, quasiment tous les élu(e)s affirment compter sur le numérique pour améliorer et valoriser leur territoire. Ils sont de plus en plus nombreux à soutenir les startups.
J’ai cherché ici à analyser comment les villes envisagent de produire et favoriser des innovations urbaines. J’ai classé le rapport entre ville et innovation selon deux axes principaux :
– un axe horizontal qui est l’axe de la gouvernance : comment les villes pilotent-elles leur innovation ? De manière centralisée, en décidant tout elles-mêmes, avec des systèmes fermés et propriétaires ? Ou de manière distribuée, en jouant un rôle de facilitatrice (enabler en anglais) et privilégiant des systèmes ouverts et des plateformes ?
– un axe vertical qui est l’axe du champ d’action : cherche-t-on à développer des innovations locales ou globales ? L’axe vertical va du local au global. Dans le domaine du numérique, cela correspond à la personnalisation d’une part, et la standardisation d’autre part.
J’ai ensuite imaginé 4 grandes typologies de villes imaginaires qui combinent chacune deux paramètres : local ou global, maîtrise ou laisser-faire. Je les ai appelé : la Ville Minitel, la Ville IBM, la Ville FrenchTech et la Ville Waze.
Toute ressemblance avec des villes existantes est purement fortuite.
1. La Ville Minitel
Si le Minitel, lancé à St-Malo en 1980, a apporté des innovations majeures tant en termes de technologies que de services (pensez au Kiosque qui – déjà – prévoyait le partage de revenus entre créateurs de contenus et diffuseurs), il n’a pas su prendre le virage d’internet et symbolise aujourd’hui un certain aveuglement français dans le domaine technologique (lire ici le trip sous LSD de ses promoteurs en Californie).
Par essence méfiante vis-à-vis des grands standards développés par des sociétés étrangères, la Ville Minitel recherche ou soutient des solutions propriétaires locales. Elle place la maîtrise des solutions avant la souplesse et l’évolutivité. Oubliez SaaS, cloud et plateformes externes… Ce n’est pas demain que vous pourrez payer la cantine avec Paypal et que vos enfants pourront s’identifier sur ProNote avec leur profil Facebook. Quand à l’open source, il peine à passer sous les fourches caudines de la commande publique. Pour la Ville Minitel, la recherche de masse critique d’utilisateurs et la possibilité de passer à l’échelle sont moins importantes que le caractère local des entreprises, des technologies, voire des utilisateurs. Tel dispositif promu par la collectivité va soutenir uniquement les projets locaux, visant un marché local. Quitte à lui faire bénéficier d’aides directes (exemple ici). Rien de choquant à ce qu’une collectivité privilégie « son » marché de fournisseurs et d’utilisateurs.
Le problème est que l’innovation numérique n’a cure des spécificités locales : une startup n’est pas une SSII qui répond à un cahier des charges pour un client précis. Elle développe des produits « globaux » dans le but de croître rapidement et atteindre des rendements croissants. De même, de multiples marchés locaux ne font pas un marché global. À lire ici les mésaventures de Blablacar qui a testé des déclinaisons locales de son service avant d’y renoncer.
2. La Ville IBM
S’appuyant sur l’offre d’un géant technologique (français ou mondial), la Ville IBM recherche des solutions globales à des problèmes locaux. On y retrouve généralement tout le bestiaire de la smart city : des infrastructures intelligentes connectent des capteurs non moins intelligents à des machines forcément géniales qui collectent et traitent les données grâce à des algorithmes totalement ingénieux. Le tout géré verticalement par un consortium d’« offreur de solutions » qui fournit une chaîne complète de produits et services, des capteurs souterrains à l’écran sur le bureau de Mme le Maire.
Dans un excellent article de la Gazette des Communes, Sabine Blanc rappelait que la ville intelligente « s’inscrit dans la lignée de l’urbanisme planificateur technocratique né au XIXe siècle qui coïncide avec l’arrivée de l’électricité (…). Avec l’idée de mieux gérer la ville, mieux la contrôler aussi, dans une logique « top-down », c’est-à-dire que les décisions sont prises par une poignée d’acteurs en haut de la pyramide et répercutés aux échelons inférieurs, à sens unique (…) ». Cette gouvernance mise en place pour effectuer de grands travaux à l’époque haussmannienne a marqué profondément la manière dont on gouverne encore nos villes : « pourquoi ne pas envisager de la gérer et d’orienter son développement à la façon dont on peut conduire un char, piloter des avions ou mener des politiques d’équipements stratégiques (…) Et pourquoi, alors, ne pas envisager également une salle de contrôle urbanistique, sur le modèle des postes de commandement militaire, où s’afficheraient les informations nécessaires au pilotage de la ville ? ».
La Ville IBM peut évoluer de deux manières : si elle cède à une trop grande personnalisation de ses solutions, elle se transformera elle aussi en SSII travaillant sur des commandes locales. Si elle ouvre ses solutions pour permettre à d’autres acteurs de les améliorer et créer des services, elle évoluera vers une structure de plateforme du type « Ville Waze » (voir 4. plus bas).
3. La Ville FrenchTech
Après plusieurs décennies de saupoudrage, l’initiative FrenchTech vise (enfin ?) à fédérer les initiatives de soutien, de développement et de promotion de l’économie numérique en France. Concentrée autour de 13 métropoles et 4 écosystèmes thématiques, elle entend également impliquer les territoires dans une politique de soutien à l’innovation jugée trop « parisienne ». Comme souvent dans ce genre d’initiative, les intentions sont louables, mais tout dépendra de la manière dont elles seront mises en œuvre. L’open data est un bon exemple d’innovation « partie du local » et que l’absence de standardisation a conduit à l’échec. La situation aurait-elle été différente avec des villes FrenchTech ? C’est tout l’enjeu.
En utilisant la matrice, j’ai imaginé deux chemins possibles pour notre Ville FrenchTech :
– un mouvement vers le global (Ville Waze, voir plus bas) : par une coordination étroite entre les FrenchTech locales, la recherche de standards technologiques, par des accélérations réussies de ses startups et le passage à l’échelle de leurs solutions.
– un mouvement vers le local (Ville Minitel) : chaque Ville French Tech pouvant sélectionner les projets qu’elle soutient, le risque de compétition et de saupoudrage des moyens à l’échelle nationale est élevé. Combien de projets de covoiturage dynamique, d’objets connectés et de plateforme pair-à-pair seront soutenus dans chaque Ville ? Là encore l’intention est louable, mais le nombre de mentors pour les aider et d’investisseurs pour les financer n’est pas extensible. Tous ne feront pas le déplacement dans votre Ville, madame le Maire.
4. La Ville Waze
Cette dernière Ville aurait pu s’appeler « Wikipedia », mais Waze, compte tenu de son domaine d’activités (GPS routier collaboratif) s’y prêtait mieux. « Fondée en 2008, Waze a été initialement imaginé par un chercheur israélien, sous la forme d’une application open source qui combine les informations issues des terminaux de différents utilisateurs pour cartographier une région. Les données doivent ensuite être validées et nommées par les utilisateurs, un système de points permettant de motiver le plus grand nombre possible de mises à jour. En ce sens, on peut considérer que la cartographie de Waze ne sera jamais terminée, mais continuellement améliorée (…) La cartographie présente sur Waze est participative. Le maillage des routes provient des traces GPS des utilisateurs de l’application. Les utilisateurs peuvent modifier la carte (sens de circulation, nouvelles rues, etc.) afin de l’améliorer ou de suivre l’évolution du réseau routier. Ces modifications se font via l’utilisation d’un éditeur en ligne. Les règles d’édition se font selon des règles de base indiquées par l’équipe de Waze, mais la majorité des décisions sont prises de manière communautaire via les forums de discussion » (source : Wikipedia).
Aujourd’hui Waze est utilisé par 70 millions d’automobilistes, dont plus d’un million pour la seule région Ile-de-France. Cette application est l’archétype du service urbain à l’ère numérique :
– elle se base sur l’activité de sa communauté de contributeurs, qui l’actualisent et « objectivent » ses informations,
– elle est totalement « scalable », du local au global, les contributeurs se chargeant de compléter les cartes des nouveaux territoires, même les plus reculés,
– la technologie développée est mise au service de la « multitude » des contributeurs et utilisateurs,
– les règles existent mais elles sont décentralisées, partagées et validées par la « communauté ».
La principale critique faite à Waze est d’avoir été rachetée par Google en 2013. On comprend aisément pourquoi.
La puissance de ce modèle est telle qu’aujourd’hui des villes et des mêmes des États concluent des partenariats avec Waze. En 2012 le Gouvernement Fédéral américain a demandé à l’entreprise si ses « Wazers » pouvaient signaler les pompes à essence ouvertes : l’ouragan Sandy avait détruit les infrastructures fédérales sur lesquelles reposait l’information « officielle ». Waze a également développé avec de grandes villes (dont Barcelone et Budapest en Europe) le programme Connected Citizens par lequel les deux « services » s’échangent des données pour améliorer la circulation et la sécurité routière.
Imaginez maintenant ce que serait chaque service public s’il respectait les mêmes règles de construction et de gouvernance que Waze…
On innove plus comme dans les années 50. Longtemps symbole de pouvoir, la gouvernance publique de l’innovation doit changer. Le numérique a levé les tabous : des entreprises de 5 personnes comme Waze peuvent créer un service public utilisé par des millions de personnes dans le monde. Des startups comme Voxe ou Flui.City s’intéressent désormais à la politique locale et entendent la modifier. L’innovation ne descend plus : elle se constate, dans l’adoption massive de nouvelles technologies et nouveaux usages. Les collectivités ne doivent pas tomber dans l’erreur de croire que le numérique leur permettra de faire comme avant, en mieux et moins cher. Elles doivent saisir l’opportunité de faire autrement. En donnant à leurs administré(e)s, à la « multitude », les outils pour inventer et construire leur propre futur.
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Matrices : réalisation PollenStudio pour 15marches
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