L’email a 40 ans. Et toutes ses dents

Accusé de tous les maux, l’email a pourtant traversé la jeune histoire du numérique sans prendre une ride. Dans un environnement numérique qui se complexifie, découvrez pourquoi l’email est peut-être le media de demain.

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L’email a 40 ans. Et toutes ses dents

Il fut un temps où se connecter à ses emails hors du bureau était quasi-impossible. La DSI veillait jalousement aux “accès externes” à la messagerie. Les téléphones mobiles étaient réservés aux meilleurs commerciaux de la boîte. Une fois chez soi…on n’était plus au travail. Aujourd’hui, cette situation paraît bien éloignée. Nos conversations, nos trajets et même nos nuits sont régulièrement interrompus par des gestes accomplis presque machinalement : trouver son téléphone, le saisir, composer nerveusement le code d’accès, tout ça pour vérifier que “ma réunion avec truc est déplacée”,  “mon billet commandé ce matin est bien prêt” ou “c’est le moment de profiter de nos promotions exceptionnelles sur *produit inutile et hors saison* ». Un long article d’Adrienne Lafrance dans le magazine The Atlantic (à lire ici) se penche ainsi sur l’étrange destin de l’email : malgré ses 45 ans, l’ancêtre a franchi avec succès toutes les étapes de la courte histoire du numérique, de l’ordinateur personnel à l’internet en passant par le mobile. Résultat : les terriens s’échangent chaque année 75 000 milliards d’emails. Soit 200 milliards par jour (je vous épargne les virgules).

En 40 ans, l’email est passé d’un outil de communication pour d’obscurs informaticiens au comble du trendy dans les années 90. Avec la démocratisation de l’internet il est devenu ensuite le symbole des dérives du numérique : infobésité, dépendance à la hiérarchie, non-respect de la vie privée, piratage,…Comment en sommes-nous arrivés là ? Quelles sont les alternatives ? Reprenons au début.

Le premier email a quasiment mon âge : il fut envoyé en 1971 par Raymond Tomlison, ingénieur en informatique qui travaillait sur l’Arpanet, le réseau ancêtre d’internet. À l’époque, joindre une personne qui n’était pas située physiquement et au moment de votre appel près d’un téléphone et dont vous n’aviez pas le numéro était une gageure. Tomlison et ses collègues inventèrent les principes de l’email qui perdurent aujourd’hui : une adresse personnelle, séparée par un “@”,  envoyée d’un ordinateur à un autre sans qu’il soit nécessaire d’être présent à la réception. L’essentiel des fonctionnalités existait déjà, mais pas l’écosystème technologique : ordinateurs personnels, internet, navigateur, logiciels. Il fallu attendre près de 20 ans pour que les conditions de l’adoption de masse soient réunies. En 1995, date du lancement du premier navigateur web grand public, un tiers des Américains avaient un PC et 14% à peine avaient accès à internet. Le changement fut rapide : fin des années 90, “si tu n’avais pas d’adresse internet (= email), tu n’étais personne, ou quelqu’un de plus de 40 ans. À la limite de l’ostracisation” (cité dans l’article).

Pour des millions d’Américains, aller sur internet signifiait exclusivement envoyer et recevoir des emails. Les gens adoraient l’email. Jusqu’au moment où ils ne l’ont plus adoré. Depuis 1995 le nombre d’internautes a été multiplié par 10, atteignant 3 milliards d’utilisateurs. Le web a changé, avec l’arrivée des grandes plateformes sociales. Les plus jeunes boudent désormais l’email. Selon une étude Pew Study de 2012, ¾ des ados échangent des SMS et à peine 6% échangent des emails (ça met un coup de vieux non ?). Email is for grand-parents : les apps de messageries comme Whatsapp, Snapchat, Messenger et Instagram sont plébiscitées par les plus jeunes avec au sommet de tout, le SMS. Nous jonglons quotidiennement avec une hiérarchie personnalisée de « distractions numériques » qui se développe à mesure que nous devenons insensible à certaines d’entre elles. 

Pourtant nous rappelle Adrienne Lafrance, l’email détenait dès sa création des qualités exceptionnelles :

  • il permet d’envoyer à distance un message à quelqu’un sans qu’il soit là pour le recevoir au moment de sa réception, améliorant ce que le fax et le répondeur téléphonique avaient apporté comme possibilités
  • l’email est neutre, vous pouvez écrire à n’importe qui du moment que vous avez son adresse. Certaines entreprises comme Amazon en ont même fait un élément central de leur culture client. “Que votre destinataire soit votre meilleur ami, votre nièce, le patron de votre patron ou Beyoncé, rien ne vous empêche de leur écrire”. Les apps de messagerie ont au contraire été bâties sur le principe de l’acceptation mutuelle préalable, reproduisant les barrières sociales de la vraie vie.

Cette neutralité et cette simplicité ont fait du mail un formidable outil de transformation des entreprises, contribuant à décupler leur capacité de travail à distance et à aplanir leur organisation. Grâce à l’email, l’entreprise ne sera jamais plus comme avant.

Ce bouleversement a son revers : si tout le monde peut vous écrire sans aucun filtre ni contrôle, votre boîte mail devient vite saturée et par conséquent inutilisable. Depuis les années 2000, l’email est ainsi accusé de tous les maux, comme un symbole de l’asservissement auquel les “nouvelles technologies” nous condamnent en tant que salarié, consommateur voire individu. Nous vivons dans un enfer de notifications, et c’est pour cette raison que les gens détestent l’email. Des chercheurs ont démontré que chaque fois que l’on reçoit une notification et qu’on l’a regarde, il faut 64 secondes avant de pouvoir se remettre à la tâche en cours. Pourtant, notre comportement est loin d’être celui d’une victime passive et sans défense. Non seulement nous ne désactivons pas ces notifications, mais nous passons littéralement tout notre temps à “checker” nos emails, statuts et autres “fils d’actualité” sur nos PC et smartphones.

L’Université de Californie a mis en évidence que les “cols blancs” consultaient en moyenne 77 fois par jours leurs emails (pour une journée de dix heures ça fait une consultation toute les 8 minutes…Et ce, même le week-end et pendant les vacances. Pourquoi une telle frénésie ?  La peur de manquer quelque chose (“FoMO, fear of missing out”) nous pousse à vérifier sans relâche notre boîte mail. Et l’absence de filtres nous condamne à tout avaler sans discernement. Pourtant, selon Stewart Butterfield le fondateur de Slack, 80% des emails dans l’entreprise ne proviennent pas d’une personne mais de “robots”, ceux qui nous envoient confirmation, reçus, factures, newsletters,…

ImpressionIl est devenu tendance dans les entreprises de prétendre réduire, voire supprimer l’email. La nature ayant horreur du vide, ces entreprises entendent le remplacer par d’autres solutions : des logiciels comme IRC et Basecamp (chez les développeurs), Trello, Yammer ou encore Slack sont parés de toutes les vertus pour « transformer l’entreprise ». Travailler en équipe sans hiérarchie, sans bureaucratie, sans réunion, sans barrière ni silo, sur des documents partagés, dans un flux continu d’information que vous êtes libre de rejoindre ou de quitter…telle est la promesse de ces solutions. Cerise sur le gâteau, elles sont généralement fournies en “mode SaaS”, c’est à dire sans installation ni barrière d’accès autre qu’une identification et un mot de passe. Finies les mises à jour pénibles du passé. Petit à petit, dans la sphère pro et surtout privée, ces apps dites « collaboratives » ont remplacé une partie de nos emails.

ofcom_3162356cLoin de moi l’idée de critiquer ces solutions. Chez 15marches nous utilisons Slack pour les échanges internes et Trello + Google Docs pour les relations avec nos clients. Mais quelles que soient les qualités de ces solutions, elles présentent un défaut de taille dans le monde professionnel : elles ne vous appartiennent pas. Vous êtes à la merci d’évolutions que vous n’aurez pas choisies, de changements de conditions et de tarifs, voire de la fermeture ou l’obsolescence. Dans un un écosystème numérique de plus en plus dépendant des grandes plateformes américaines, il n’est pas absurde de s’interroger sur la capacité de votre business à survivre SANS celles-ci. Et ce risque redonne à l’email, aux fonctionnalités certes plus limitées, un avantage de taille. “L’email est la dernière technologie qui n’appartient à personne” nous dit John Zittrain, professeur à Harvard. “Il n’y a pas de CEO de l’email…C’est juste une hallucination collective que cela fonctionne”. Né avec le web, l’email lui emprunte ses caractéristiques intrinsèques : il est simple, décentralisé et conçu pour être le support d’applications créées après lui, sans avoir à demander la permission à qui que ce soit. Une “hallucination collective” que ne partagent pas les applications plus récentes, quel que soit leur succès. Autre qualité et non des moindres : l’email s’est parfaitement adapté à l’arrivée des mobiles, du Blackberry au duopole iOS et Android qui en intègrent nativement toutes les fonctionnalités. D’une taille réduite, les fichiers de message se chargent rapidement sur n’importe quel appareil, permettant de passer d’un écran à l’autre sans rien perdre. Tout le monde peut lire votre email.

 Avouons-le, les reproches que nous faisons à l’email traduisent avant tout nos propres insuffisances ou incohérences dans notre manière de travailler (avec ou sans le numérique). L’email reste un formidable outil de communication, pour peu que l’on s’applique quelques principes de bon sens :

  • respectez votre rythme de travail et celui des autres : il n’est ni nécessaire ni efficace d’être connecté à son courrier toute la journée et toute l’année
  • mais acceptez que les emails améliorent aussi votre productivité, pour peu que vous en maîtrisiez le volume et la qualité
  • créez des boîtes pour ranger les mails auxquels vous ne pouvez ou souhaitez pas répondre immédiatement : “à traiter dans la journée”, “à traiter plus tard”, “juste au cas où”; vous trouverez le temps de le faire quand votre travail planifié sera terminé
  • intégrez une action dans l’objet de chaque mail (ex. : pour validation, pour info,.. ) afin que le destinataire sache immédiatement ce que l’on attend de lui
  • désabonnez-vous systématiquement des listes d’emails non sollicités; remontez les bretelles en interne de ceux qui abusent des emails inutiles
  • pensez à la capacité de l’autre à répondre quand vous envoyez un message : est-ce vraiment indispensable qu’il reçoive ce message ? Maintenant ?
  • utilisez les bons outils au bon moment : un document de travail trouvera une meilleure place dans une solution collaborative type Gdocs; en revanche une validation urgente nécessite d’avoir tous les documents en vue
  • si l’échange tourne à la conversation fleuve, appelez/skypez- vous ou allez prendre un café ensemble
  • soyez toujours bienveillants, clair et concis : comme dans la vraie vie 😉

En bref, (ré) apprenez à communiquer sainement et efficacement : votre liberté est à ce prix

Retrouvez l’article cité en ressources ici

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