Manager l’innovation au quotidien
Deuxième article d’une trilogie sur les clés du succès de Pixar, studio d’animation aux 27 Oscars racheté par Steve Jobs en 1986. Cet article détaille les principaux process mis en place dans l’entreprise pour développer une culture créative et manager l’innovation.
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Nous poursuivons notre analyse de Creativity Inc., l’ouvrage d’Ed Catmull, président et co-fondateur de Pixar. Après avoir étudié les principes qui fondent la culture d’entreprise de Pixar (lire ici) nous détaillons dans ce post les processus maison mis en place pour la décliner opérationnellement.
[mise à jour : nous avons créé un mini-livre en pdf reprenant l’ensemble des 3 articles. Téléchargez-le ici]
Partie 2 : Manager l’innovation au quotidien
Diriger 1200 salariés dont la majorité sont « créatifs » nécessite des processus formalisés pour faciliter échanges et capitalisation des savoirs. Le livre de Catmull et Wallace présente en détail les différentes démarches testées et mises en place chez Pixar.
1. Les courts-métrages
Chez Pixar, les courts métrages servent à la fois de R&D au niveau technique et de marche-pied en termes de management des compétences. Leur réalisation est souvent confiée à des novices qui n’ont jamais réalisé de long métrage. Ils apprennent à travailler avec une équipe plus resserrée et plus de polyvalence. Cette politique de courts métrages montre aux fans de Pixar la générosité de l’entreprise puisque les courts-métrages n’ont aucun but commercial (ils sont projetés en avant-première des longs métrages). Elle démontre aussi au personnel de l’entreprise que les valeurs de créativité perdurent au-delà du business. Selon Catmull, ce sont, malgré leur coût (2 millions de $ environ), des « moyens pas chers de se planter » car ils peuvent mettre en évidence l’incompétence d’un nouveau réalisateur par exemple. « Il vaut mieux avoir une catastrophe ferroviaire avec un train miniature qu’avec un vrai train ».
2. Les voyages d’études (research trips)
John Lasseter le co-fondateur de Pixar est un fervent promoteur des research trips. Selon lui, nul besoin de multiplier les recherches filmographiques et académiques : il faut « sortir et chercher ». Pour Ratatouille, plusieurs membres de l’équipe ont passé 2 semaines en France à dîner dans des restaurants étoilés, visitant les cuisines et interviewant les chefs. Ils ont aussi passé du temps dans les égouts de Paris pour étudier leur configuration. Lors de la préparation de Nemo, ils avaient visité ceux de San Francisco pour s’assurer que « oui, un poisson qui s’échapperait de son bocal pourrait rejoindre la mer par les égouts ».
Ce soucis du détail ne tient pas de la maniaquerie ou d’un goût pour l’évasion : « Ces voyages laissent les clichés au placard. Ils permettent de créer plutôt que de copier ». Ils peuvent aussi aider à démarrer un projet de film. Trois ans avant Monster University (Monstres et Cie), une douzaine de personnes est partie sur la Côte Est visiter le MIT, Harvard et Princeton. « Ce n’est pas pour s’amuser, mais pour alimenter le développement du film à ses débuts ». Elles ont visité les salles, les dortoirs, les cantines, prenant photos et notes, documentant jusqu’au moindre détail leurs découvertes. « Ce que nous cherchons c’est l’authenticité. Vous ne tomberez jamais sur de l’inattendu si vous restez collés dans vos habitudes ». « Quand les gens partent en voyage d’études, ils en reviennent toujours changés ». Le sens du « vrai » a un impact sur le spectateur : « l’authenticité est ressentie par le spectateur, même s’il n’a jamais été dans un grand restaurant parisien. Ils sentent que c’est vrai (…) C’est un contrat avec eux : nous allons tout faire pour vous raconter quelque chose de vrai et d’impactant ».
3. Les Braintrusts
Le nom « braintrust » est sans doute tiré d’un groupe informel d’économistes et d’universitaires qui conseillait le Président Roosevelt pendant le New Deal. Pièce maîtresse de l’organisation de Pixar, ce petit groupe n’a pourtant aucune place dans l’organigramme de l’entreprise. Il réunit autour du réalisateur et du producteur des membres de la société qui sont chargés de visionner les maquettes et de donner leur feedback sur le projet de film qui lui est présenté. La réunion se déroule à peu près chaque mois. Ses participant(e)s ne sont pas choisi(e)s selon leur place dans l’organigramme : « choisissez des gens qui vous font penser plus intelligemment et qui trouvent beaucoup de solutions en peu de temps» nous conseille Catmull. Les membres du Braintrust remettent au réalisateur des « notes » très documentées concernant tous les éléments qui posent question. Le Braintrust n’impose pas les solutions aux problèmes qu’il soulève : il revient au réalisateur de trouver des solutions et les soumettre lors de la réunion suivante. « Si Pixar était un hôpital et le film était un patient, le Brainstrust serait un groupe de médecins chargés de donner leur avis sur l’état du malade et le traitement prescrit; le réalisateur et le producteur sont des médecins aussi, et ils ont le dernier mot ».
4. Les Dailies
Les Dailies rassemblent le réalisateur avec son équipe d’animateurs. Comme leur nom l’indique, il s’agit de réunions quotidiennes d’une heure environ, situées en tout début de journée, dont le but est de « régler les problèmes ensemble ». La petite équipe travaillant sur le film en visionne les dernières maquettes produites. Le réalisateur qui anime la réunion demande à chacun de s’exprimer, de poser des questions et formuler des remarques. Les suggestions sont soumises aux participants en live, grâce à des outils de dessin développés spécialement en interne. L’ensemble des « notes » est ensuite formalisé et transmis à tous. Les Braintrusts et les Dailies sont les déclinaisons opérationnelles des principes de management de l’entreprise (voir partie 1) : les participants ont appris à laisser leur ego à la porte pour montrer un travail inachevé, et à critiquer de manière constructive le travail des autres. « Ces réunions démontrent le besoin d’empathie, de clarté, de générosité et de capacité d’écoute d’une entreprise créative (…) Quand l’embarras s’en va, les gens deviennent créatifs (…) Il faut reconnaître que la créativité individuelle est magnifiée par les gens autour de soi».
Quelques extraits de Dailies ici avec John Lasseter, le co-fondateur de Pixar :
5. Les Post-Mortems
Réaliser un film prend plusieurs années et nécessite un fort engagement. Quand il est terminé, tout le monde est prêt à passer à un autre film. Mais chez Pixar, un film n’est pas terminé lorsqu’il sort dans les salles. Il manque un élément essentiel : l’analyse post mortem. « Les entreprises, comme les individus, ne deviennent pas exceptionnelles en croyant qu’elles sont exceptionnelles, mais en comprenant en quoi elles ne le sont pas ».
Faire une analyse a posteriori des forces et faiblesses d’un projet n’est pas naturel dans l’entreprise. Les problèmes soulevés sont souvent personnels, la critique est souvent mal vécue et beaucoup de gens résistent à l’auto-évaluation. Surtout en cas de succès, il est facile de se congratuler et de passer sur les difficultés rencontrées. Les participants sont incités à préparer le post mortem en écrivant « 5 choses que vous referiez et 5 choses que vous ne referez pas ».
Ed Catmull énumère les 5 raisons pour lui de réaliser un post mortem :
– comprendre pourquoi certaines choses ont été faites en les objectivant
– consolider ce qui a été appris avant de l’oublier, et analyser « à froid » ce qui n’était pas possible de mettre sur la table « à chaud »
– apprendre à celles/ceux qui n’étaient pas là pour qu’ils bénéficient des enseignements des précédentes expériences
– ne pas laisser le ressentiment se développer : quand des malentendus sont apparus, le ressentiment peut durer des années s’il n’est pas traité
– utiliser le planning pour forcer à la réflexion : « le simple fait de planifier un Post Mortem, un Dailies ou un Brainstrust génère 90% de la valeur de ceux-ci, car ils forcent les équipes à l’auto-évaluation et à la réflexion profonde dès la préparation; les réunions ne servent alors qu’à partager ces éléments
– pay it forward : dans le post mortem on pose des questions pour le prochain projet, des questions dont on a pas forcément la bonne réponse immédiatement, mais qui seront posées dès le début des prochains projets et trouveront peut-être une réponse.
6. Les Notes Days : fermer l’entreprise un jour pour permettre à tous de trouver les solutions
Lors d’un séminaire extérieur, les dirigeants de Pixar constatent que les meilleures idées apparaissent lorsque les salariés bénéficient d’un temps suffisant et d’une animation efficace. Ils décident alors de dédier un jour complet à la résolution d’un problème de taille pour l’entreprise. Exemple : « comment produire moins cher sans baisser la qualité (je suis sûr que vous vous posez aussi ce genre de questions dans votre entreprise) ? » Avant cette journée, une démarche participative en ligne est lancée, permettant de recueillir 4000 emails et de définir 106 sujets de travail. Le Notes Day voit se dérouler 171 réunions dans 66 salles, managées par une centaine de facilitateurs, impliquant la presque totalité des 1200 salariés de Pixar. Les facilitateurs font tous partie de l’entreprise : aucun consultant extérieur n’est mobilisé. Le but est clair et précis dès le départ (ex. : réduire la production d’un film à 18 500 jours/homme). Il est porté par la direction au plus haut niveau, mais l’ensemble des sujets pour y parvenir sont choisis et débattus par les salariés eux-mêmes. La synthèse, la communication et la conduite du changement ensuite sont également managées en interne, toujours sans consultant extérieur.
Ces 6 process ont été élaborés et validés durant les 20 années qui séparent la sortie de Toy Story de celle de Vice Versa. Entre temps, Pixar a changé définitivement la manière de faire des animations et amassé les succès au box office. Le studio a par la suite fusionné avec Disney Animation, Ed Catmull et John Lasseter prenant la tête des deux entités. Dans ces entreprises, les deux fondateurs ont su construire et diffuser une culture de l’innovation à la fois puissante et pérenne, faite de rigueur, d’écoute et de participation. Ed Catmull en a tiré une série de « pensées pour un management créatif » qu’il a rassemblées à la fin de son ouvrage. Nous vous invitons à les découvrir dans leur intégralité dans la troisième partie de ce post (lire ici).
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