Ras-le-bol des start-up
Les entreprises classiques n’ont plus la cote. Du Premier Ministre à votre voisine de palier, tout le monde ne jure que par les startups. Le vocabulaire de la Silicon Valley a envahi notre quotidien, amplifié par des services de communication trop contents de profiter de l’image « innovante » des jeunes pousses. Mais derrière ce vernis clinquant, la réalité est moins alléchante et cache souvent la naïveté et les faiblesses du « monde d’avant ». Des voix s’élèvent pour alerter et dénoncer ce grand écart.
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Ras-le-bol des startups
Que vous soyez une entreprise ou une administration, salarié(e) ou étudiant(e), un seul remède à la crise : devenez une startup ! Les journaux sont remplis d’histoires d’ « aventuriers qui veulent devenir le prochain Google ». Mais ne sentez-vous pas le vent tourner ? D’abord marginales, de plus en plus de voix dénoncent le startup washing. Comme le green washing auparavant (le “verdissement” du discours des entreprises et des administrations), la startup-mania qui traverse les couches de notre société a un côté artificiel et parfois cynique.
À rebours des discours dominants, trois articles dénoncent les dérives et les tartufferies de ce postulat. Chacun à sa manière soulève un pan du problème :
- le discours paradoxal des pouvoirs publics qui flattent d’une main ce qu’ils bloquent de l’autre, et cachent une absence de réelle politique de l’innovation
- les dérives de l’ open innovation pratiquée ou feinte par les grandes entreprises
- les excès de la pensée unique des investisseurs de la Silicon Valley, selon laquelle lever des fonds et rechercher la croissance maximale serait le seul moyen d’entreprendre, de réussir et s’épanouir à l’ère numérique.
Peut-être un changement de tendance. À vous de juger.
1. Les startups, c’est comme les chatons, c’est mignon mais faut pas que ça grandisse
Il y a deux ans dans un article de blog intitulé “J’en peux plus des startups” Stéphane Soumier de BFM Business jetait un pavé dans la mare des discours du gouvernement. Rebondissant sur la polémique du vrai-faux “il faut ralentir l’innovation” d’Arnaud Montebourg, Soumier mettait en avant l’ambivalence des acteurs publics face aux startups : startup nation auto-proclamée quand il s’agit d’attirer des investissements étrangers, mais bon vieux protectionnisme quand Yahoo s’intéresse à Dailymotion. “Rien, dans notre écosystème, n’a changé au point de favoriser tout à coup l’éclosion d’une nouvelle dynamique”. Et que dire de l’attitude des pouvoirs publics quand une startup (nationale ou non) réussit en France ? Il y a celles qui se développent à partir de rien sans faire de mal à personne (ex. Blablacar) ou qui réussissent à l’ombre d’un géant national (Deezer), et celles qui disruptent le marché d’entreprises françaises (Uber ou encore Airbnb).
“Nous retrouvons le culte des oursons, des chatons : c’est mignon à cet âge-là, dommage que ça grandisse”. Pour Soumier, le startup washing cache l’absence de politique économique de l’État en matière d’innovation. Deux ans ont passé, mais l’ambiguité demeure : le successeur de Montebourg n’a-t-il pas demandé – sans rire – au CEO d’Uber à Davos d’indemniser les taxis pour la perte de valeur de leur licence (lire ici) ? Sans doute le fondateur avait-il peu apprécié la garde à vue de ses cadres français : il a refusé, arguant qu’ « aucun constructeur automobile n’avait indemnisé les propriétaires de chevaux ».
2. (Open) Innovation, piège à com’
Soumier n’est pas plus tendre avec l’open innovation, qui prône la collaboration entre startups et grands groupes : “comment imaginer qu’une startup puisse grandir à l’ombre des grands groupes ? Ça n’existe pas. Les grands groupes tuent l’innovation. Elle les dérange. Au mieux ils l’endorment.”
Près de deux ans plus tard, dans “ne me parlez plus d’open innovation”, Taro Ugen, bien placé sur la question chez BPI France, a décidé carrément d’effacer le buzzword préféré des entreprises de son langage. ll dénonce comme Soumier l’ambiguité de certaines entreprises qui “visitent des incubateurs comme on va au zoo”. Il est vrai qu’on ne compte plus les corporates (grands groupes) qui vont s’encanailler dans le Sentier pour découvrir ce qu’est un espace de coworking ou une salle de créativité. Les logos des “partenaires” remplacent les tags dans ces espaces qui n’ont souvent plus de “co-” que la baseline. Les cadres sans cravate remplacent les hackers sur les bancs des évènements. Le Président de la République lui-même n’a pas pu résister à l’appel en débarquant à l’improviste au Numa, accompagné de caméras. “On est bien dans une approche de l’innovation strictement cantonnée à la communication philanthropique” nous dit Taro Ugen, “dans le but de soutenir l’écosystème et non d’y participer.”
Le “pitch de startup” (présentation du produit au public par les fondateurs) devient une figure convenue des salons professionnels et autres conventions. Généralement suivies d’un vote du jury (composé des sponsors de l’évènement : c’est un écosystème), les séances de pitchs ont au moins le mérite de donner de la visibilité et des jalons aux startups qui débutent. Pour les autres c’est surtout de la perte de temps. De la communication, pas du business. Des photos, pas des contrats. Mais le problème semble plus profond. Taro souligne l’incompréhension des entreprises qui considèrent avant tout les startups comme des “convoyeuses d’innovation technologique”, alors que la technologie est justement ce qu’il y a de plus accessible à l’ère numérique. Ce que n’ont pas les grands groupes et que possèdent intrinsèquement les startups, c’est la capacité de croissance. Et Taro de rêver de “Chief Growth (croissance) Officers” qui activeraient les outils de l’innovation au service de la croissance de leur entreprise, qui travailleraient avec les startups pour “casser les barrières culturelles et monter des géants internationaux pour croquer le monde ensemble”.
“Devenir un géant, croquer le monde, dominer ses adversaires, capturer et valoriser les données de ses utilisateurs,…” ce vocabulaire est désormais monnaie courante jusque dans la bouche du plus modeste des startupers. Symbole de la foi dans la capacité des startups à “faire du monde un meilleur endroit” ou formules toutes faites destinées à séduire les investisseurs ?
3.« Il y a quelque chose de pourri dans l’empire du Danemark des start-up»
C’est justement un Danois, David Heinemeier Hansson qui sonne la charge contre le discours porté par le venture capitalism mondial. David est une icône des geeks : co-fondateur de Ruby on Rail et Basecamp (ex. 37signals), et co-auteur des excellents Rework et Remote. Invité au Web Summit de Dublin, celui qui se proclame “tueur de licornes” ne pourra y aller mais nous gratifiera d’un texte cinglant contre les venture capitalists et la vénération qui les entoure (à lire ici).
Dans Reconsider, David descend en flèche la pensée unique qui affirme que seules sont cools les entreprises qui pratiquent : disruption, croissance exponentielle, levées de fonds, cash out, IPO,… et tout le vocabulaire financier que les startupers se répètent à l’envie sans parfois le comprendre. Celui qui est devenu millionnaire sans lever de fonds ni sacrifier ses passions (il a remporté les 24 heures du Mans catégorie Young Driver) nous demande de ne pas accepter la notion de “succès” imposée par les gourous de la Silicon Valley. “Jouez autant que vous pouvez car personne ne sait quel business sera la prochaine licorne” nous disent-ils. Il critique le cynisme qui encourage les start-up à échouer vite pour que eux puissent trouver le succès. “Ils perpétuent le mythe que l’on a besoin d’eux. Que d’aller dans le monde inconnu et froid du business sans leur argent ne serait qu’une course folle”. Ils ont entraîné les medias à adopter leurs process et célébrer leur vocabulaire : les “Series A” et autres levées de fonds, exits et IPO font les gros titres alors qu’il ne s’agit que d’évènements financiers. David dénonce également la recherche de profits sans limite : vendre la vie privée des utilisateurs, maltraiter ses fournisseurs, chercher le monopole, débaucher des salariés, saboter les concurrents… “La disrupt-o-mania est un permis de tuer. Courir vite et briser les entreprises”. Le fait que ce monde attire la lumière est aussi dû à la relative discrétion de celles et ceux qui montent des boîtes en dehors de ces sphères. Alors que les capital-risqueurs communiquent en permanence et de manière ostentatoire pour influencer marchés et régulateurs, les autres entrepreneurs n’ont pas besoin de raconter leur histoire.
David Heinemeier nous invite à “creuser un peu plus profondément” pour trouver pourquoi nous entreprenons. Et d’énumérer ses propres motivations durant ces dernières années :
- je veux travailler pour moi-même, à mon propre rythme, dessiner mon propre chemin, sans me préoccuper de ce que pensent les types en costards
- je veux créer un produit et le vendre directement à des gens qui attachent de l’importance à ses qualités; aligner mes motivations financières avec le service rendu à mes utilisateurs; ce n’est pas la même chose que d’essayer de capturer l’attention des gens pour la revendre au plus offrant
- je veux creuser mes racines, créer une relation à long terme avec mes collègues et mes clients
- je veux avoir le plus de chance d’atteindre la stabilité financière : dans l’absolu, 30% de chance de gagner 3 millions est égal à 3% de chance de gagner 30 ou 0,3% de gagner 300 millions. Mais les stratégies pour atteindre ces hypothèses sont fort différentes
- je veux une vie après le travail, et ne pas penser qu’aux actus technologiques et financières; je ne veux pas sacrifier mes plus belles années pour d’autres.
Peut-être que ce discours de bon sens nous permettra de mettre d’accord tout le monde autour d’un postulat simple : entreprendre est une aventure magnifique, qu’il faut encourager. Il n’a jamais été aussi simple d’innover à l’ère d’internet, et chacun peut prendre son destin entre ses mains. Changer le monde, mais chacun à sa mesure et à son rythme.
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