Startups-grands groupes : mariage d’amour ou de raison ?

Beaucoup de discours actuels sur l’innovation opposent grandes entreprises et startups. Les grandes entreprises seraient lentes et allergiques à l’innovation. Les startups seraient agiles et innovantes par nature. La réalité est un peu moins manichéenne. Startups et grandes entreprises font partie d’un même écosystème. Encore faut-il que leur relation soit intelligente. Exemple avec l’interview des responsables de la MAIF et de Koolicar, une startup d’autopartage dans laquelle l’assureur vient d’investir.

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De très nombreuses entreprises, grandes ou petites, cherchent à travailler avec des startups.

Les motivations avancées sont diverses :

Anticiper les évolutions dans son domaine d’activité

Explorer de nouveaux modèles d’affaires et de nouveaux marchés

Confronter ses équipes avec des cultures et organisations différentes

Tester des produits et services nouveaux

Certaines aussi veulent simplement se donner une “image innovante” en s’affichant aux côtés de startups, mais sans que l’on puisse y déceler une stratégie cohérente.

Qu’en pensent de leur côté les startups ? Plutôt du bien apparemment.

Dans une étude de l’agence FaberNovel publiée avant l’été, il apparait que la relation avec les grands groupes est considérée par 95% des startups comme “favorable voire indispensable”. Les grands groupes sont avant tout pour elles des clients et/ou des distributeurs. L’incubation, voire l’investissement direct, sont plus rarement utilisés.

Ces relations sont-elles déséquilibrées ? Non pour ¾ des startups interrogées, qui s’estiment satisfaites de cette relation. Contractualiser avec un grand groupe accélèrerait le développement des startups grâce à la crédibilité et la notoriété qu’il apporte. La caution d’un “grand nom” rassure les prospects et renforce la médiatisation.

En conclusion, l’étude indique que “les startups attendent des grandes entreprises un meilleur accompagnement dans leur quotidien opérationnel : le développement de programmes d’accompagnement et le partage de compétences, l’implication du top management et l’ancrage de la collaboration dans la durée.”

L’actualité 2014 nous a apporté un bon exemple de ce type de collaboration, avec la prise de participation de l’assureur MAIF dans la startup d’autopartage Koolicar. [lire ici]

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Nous avons interrogé Thomas Ollivier , responsable de la stratégie et des partenariats à la MAIF et Stéphane Savouré , fondateur et dirigeant de Koolicar, sur les secrets d’un partenariat réussi.

Entretien


Qu’est-ce qui a motivé ce partenariat relativement inédit ?

Thomas Ollivier : à la MAIF notre culture est de prôner une stratégie par l’action pour transformer nos convictions en expérimentations concrètes. Les partenariats avec des startups s’inscrivent dans ce cadre. La MAIF n’est pas une assurance comme les autres : c’est une mutuelle, un pilier de l’économie sociale et solidaire. Elle ne rémunère pas d’actionnaire, car ce sont les sociétaires qui sont les “actionnaires”. La MAIF a été créée en 1934 sur l’idée d’enseignants qui se sont regroupés en communauté pour reprendre du pouvoir sur leurs assurances. Le modèle économique initial est basé sur la confiance, qui est restée le mot d’ordre des 80 ans de développement qui ont suivi. Concrètement ceci signifie un plus fort investissement dans la relation client, la priorité d’abord aux intérêts de long terme, et la volonté de créer et partager de la valeur de façon singulière en s’appuyant sur notre différenciation.

NB : peu après cet entretien, la MAIF, à l’initiative de Thomas, a signé un partenariat ambitieux avec le think tank Ouishare afin de créer notamment un incubateur de projets “sociaux”. L’assureur lance également “MAIF Social Club”, une initiative de promotion de l’économie du partage.

Stéphane SAVOURÉ : en 1999 le Groupe ALSTOM où je travaillais a racheté une startup de 40 personnes au Canada et m’a proposé de la rejoindre comme Vice Président. Cette expérience m’a donné la piqûre de l’entreprenariat. L’idée de Koolicar m’est venue dès 2005 en observant les Velov’ qui démarraient à Lyon. Je voyais les gens qui partageaient des vélos et me suis dit : “pourquoi ne pas le faire avec des voitures ?”. De 2005 à 2010, j’ai travaillé l’idée avec deux convictions : il fallait innover en matière de technologie pour éliminer la contrainte des clés, et entrer dans une logique de partenariat avec un grand acteur de l’écosystème.

Quel a été votre premier contact ?

Stéphane SAVOURÉ : pour moi la problématique de l’assurance était majeure. J’ai donc pris contact tôt avec des assureurs. Nous en avons rencontré plusieurs catégories : ceux qui ne comprenaient pas notre vision, d’autres qui comprenaient mais n’étaient pas prêts à innvover, et un jour… la MAIF. Dans la salle, on a fait notre blabla marketing habituel, et l’un des responsables nous a dit : “ne perdez pas votre temps à nous convaincre, nous avons fait nos propres études et avons la même vision que vous. Nous souhaitons accompagner le mouvement, alors expliquez-nous qui vous êtes et votre approche technologique. C’est exactement ce qu’on attendait.

koolicar

Thomas OLLIVIER :  Lors de notre premier contact, la MAIF était déjà partenaire de Blablacar (dès 2006-2007). On l’aidait avec de l’adossement de marque, sans business commercial. Frédéric Mazella (le fondateur) était sociétaire, et des collègues l’avaient déjà rencontré. Nous avions donc déjà un pied dans l’économie collaborative en lien avec des start-up. Me concernant, l’un des premiers dossiers que l’on m’a confié quand je suis arrivé à la MAIF était : “comment va bouger l’environnement automobile qui représente 50% de notre chiffre d’affaires”. Nous avions identifié deux enjeux : la voiture connectée et les nouveaux usages. Quand Koolicar est venu nous voir, les études étaient déjà faites et les enjeux cernés et partagés. Nous avons donc accroché rapidement. Nous partagions également la vision de l’évolution du comment y aller ? : apprendre et travailler ensemble dans une logique de partenariat pour trouver un modèle viable pour nous et pour eux.

Qu’y avait-il dans la corbeille de mariage ?

Thomas OLLIVIER : nous avons commencé à travailler ensemble bien avant la prise de participation dans le capital. Il y 4 ans le dispositif assuranciel n’existait pas : nous l’avons créé ensemble. Lors de l’utilisation de la voiture partagée, l’assureur se substitue à l’assureur du propriétaire, c’est très innovant. Nous proposons une assurance au kilomètre parcouru, à l’usage. La startup a également participé à notre changement en interne.

Stéphane SAVOURÉ : une première levée de fonds de 500K€ auprès de Business Angels a permis de financer la R&D et des expérimentations. Début 2014 la solution était prête pour un déploiement à grande échelle. J’ai engagé des démarches pour lever des fonds auprès de fonds d’investissements et j’en ai naturellement parlé à notre partenaire la MAIF .

Quel est votre objectif derrière ce premier partenariat avec Koolicar ?

Thomas OLLIVIER : l’entreprise développe beaucoup d’actions avec des prestataires ou des partenaires institutionnels, pour nourrir les marques. Avec Koolicar il s’agit d’un partenariat stratégique. Ce nouveau type de partenaires sont dans l’altérité, la complémentarité. Ce sont généralement des organisation différentes de nous, qui nous apportent une valeur que l’on ne pourrait pas créer par nous-même. C’est ça qui nous intéresse. La MAIF n’a aucune ingérence dans le fonctionnement de Koolicar. Mais nous étions d’accord dès le départ sur les critères de succès d’une entreprise dans l’autopartage. On se connaît très bien, on se parle plusieurs fois par semaine.

Qui dit startup dit croissance : que se passera-t-il si d’autres investisseurs mettaient des fonds dans la société ?

Stéphane SAVOURÉ : on s’est assuré que le partenariat avec la MAIF ne soit pas un frein si cela arrivait.

Thomas OLLIVIER : l’objectif est d’alimenter notre coeur de métier “automobile” avec des services additionnels comme l’autopartage. Notre but n’est pas de faire une plus-value. Si un jour on doit revendre nos parts, on le fera avec regret. La prise de participation était le moyen le plus évident pour sécuriser le partenariat à long terme et le plus porteur de sens.

Comment voyez-vous le marché évoluer à l’avenir ?

Thomas OLLIVIER : les vrais leviers pour les changements de comportement nécessiteront de l’audace politique, à tous les échelons. Par exemple mettre des places de parking gratuites pour ceux qui font du covoiturage et de l’autopartage, ou des incitations fiscales.

Stéphane SAVOURÉ : l’autopartage entre particuliers est un marché compliqué qui va se développer dans la durée. La partie n’est pas encore gagnée, et beaucoup de choses vont se passer dans les années qui viennent. L’ADEME nous aide à expérimenter avec ses Appels à Manifestation d’Intérêt. À Bordeaux et Niort, l’ADEME voulait créer une passerelle entre toutes les formes de mobilités en partage : CITIZ, Koolicar, Blablacar, les transports en commun,…et la MAIF innove en assurant votre mobilité plutôt qu’une voiture ou une personne. Je suis convaincu que ce marché se développera dans la durée et qu’il faut le développer dans une logique d’écosystème.

N’est-ce pas finalement un peu le rôle de la collectivité de faire cela ?

Thomas OLLIVIER : l’avenir c’est aussi de l’innovation dans les partenariats publics-privés. Les collectivités n’ont pas toutes les solutions, les appels d’offres ne peuvent pas tout régler. Par exemple elles ne devraient pas préempter l’auto-partage entre particuliers sur un territoire. Les collectivités n’ont pas forcément besoin d’intervenir directement, leurs valeurs ajoutées se situent peut-être davantage dans l’organisation d’un dispositif d’incitation et de gestion incitatif.

Quels conseils pourriez-vous donner à des entrepreneurs qui se lancent ?

Thomas OLLIVIER : travailler en réseau, dans son écosystème ! Y aller seul, à l’ancienne, ça ne peut plus marcher. Il faut trouver des partenaires, avoir une stratégie ouverte, de partenariat, en protégeant ce qu’il y a à protéger mais en s’adossant à d’autres qui ont des intérêts communs. Créer de la valeur à plusieurs, créer de l’intelligence, avec des convergences et la recherche de nouveaux modèles.

Stéphane SAVOURÉ : Ne pas travailler seul

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