Le logiciel dévore la logistique
Le logiciel dévore le monde, et la filière de la logistique n’y échappe pas. Si le transport international est optimisé par l’informatique depuis 40 ans, à l’autre bout de la chaîne le fax et la lettre de voiture papier sont encore de rigueur. Comment les acteurs de la logistique peuvent-ils répondre à la fois à des exigences clients toujours plus fortes et des contraintes réglementaires grandissantes ? Le numérique est-il la solution pour résoudre cette équation, au risque de se faire « désintermédier » et réduit au rôle de simple sous-traitant des grandes plateformes ? Retrouvez nos analyses sous différents formats : article, présentation slideshare et vidéo.
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Le logiciel dévore la logistique
Peu visible du grand public, la filière logistique fait pourtant partie des acteurs clés de l’économie. Regardez autour de vous. Parmi les produits que vous utilisez ou consommez au quotidien, combien ont été fabriqués dans votre environnement proche ? Dans votre région ? Votre pays ? Cette question, encore essentielle pour nos grands-parents, est devenue presque obsolète aujourd’hui. Pour que vous puissiez manger un plat du jour au restaurant, porter des t-shirts de marque et revendre vos cadeaux de Noël sur LeBonCoin, un monde caché s’agite en coulisse. Transporteurs, logisticiens, intermédiaires, prestataires de services…s’affairent pour gommer les contraintes physiques, administratives et réglementaires.
Le coût du transport international a baissé de près de 97% en 40 ans, depuis la généralisation du container. Il ne représente plus que quelques pourcents dans le coût global d’un produit, rebattant les cartes du commerce et de l’économie mondiales.
Le « tout, partout et tout le temps (et gratuit)» symbole de l’internet gagne le monde des biens et services « physiques ». Content Is King, but Distribution Is King Kong : dans une économie globalisée, les clients – entreprises comme particuliers – attachent une importance grandissante à la disponibilité et la livraison (distribution) de leurs produits. Une référence manquante, une livraison ratée, un service client défaillant, et c’est l’ensemble de la confiance dans la marque qui est impactée.
Après avoir effacé l’acte de paiement (pensez à l’achat one-click ou à la commande d’une course sur Uber), les géants du numérique veulent effacer la notion même de livraison. Les e-commerçants vous livrent pour 1 centime ou gratuitement. Certains produits sont livrés dans la journée, voire dans l’heure de leur commande. Votre panier de courses arrive directement dans le coffre de votre voiture. Le repas du midi est amené tout chaud dans votre assiette au bureau. La pub Amazon du dernier Superbowl met en scène un jeune couple en manque de tacos, livré en quelques minutes par un drône «commandé » grâce à un capteur vocal posé sur la table du salon. Avec le progrès des technologies d’analyse et de prévision, la connaissance individuelle des besoins s’améliore, permettant de mieux anticiper et donc au final de diminuer les stocks. Le rêve du « flux tendu » entre le producteur et le consommateur nous est promis. Amazon – encore eux – a même déposé un brevet permettant de lancer une livraison AVANT que la commande soit effectuée.
Oui, mais non. Derrière ces promesses technologiques, de grandes difficultés subsistent.
Rien qu’en France, plus d’un quart des camions croisés sur la route circulent à vide, et la moitié ne sont remplis qu’à 50%. Le papier est encore de mise à presque toutes les étapes du transport. Le fax reste le moyen universel de communication entre acteurs de la filière. Le quotidien d’un logisticien est de gérer la « paperasse » administrative pour le compte des autres. Si le container a fait exploser le transport international depuis son lancement en 1956, les réglementations sectorielles imposent une traçabilité de plus en plus grande à chaque étape.
Elles multiplient les restrictions et les principes de précaution liés à l’hygiène et la sécurité (ex. : ne pas transporter certains produits dans des camions ayant transporté d’autres produits au préalable). La menace terroriste ne fait qu’accentuer la pression – et la responsabilité – des acteurs de la logistique et du transport sur tous les maillons de la chaîne. Enfin, l’urgence climatique fait peser une Épée de Damoclès au-dessus des livreurs urbains : responsable de 40% de la pollution, le transport du « dernier kilomètre » pourrait bientôt subir le sort des autocars de touristes à Paris, bannis faute d’avoir su répondre aux limitations des municipalités en matière d’émission polluantes.
La chaîne de valeur évolue d’une structure centrée autour de chaque étape du transport et de la transformation vers des activités transverses qui accompagnent les acteurs tout au long du process. Ce changement n’en est cependant qu’au commencement.
Pris en tenaille entre des exigences clients toujours plus fortes et des réglementations toujours plus contraignantes, le secteur de la logistique doit se réinventer pour intégrer les standards du web : efficacité, traçabilité, et personnalisation. Faire signer un bordereau sur un PDA ne suffit pas : il faut aller beaucoup plus loin dans la dématérialisation et la standardisation des actes et des procédures. Connaître les besoins des clients finaux pour mieux les servir. Avec le risque (ou l’opportunité) de « désintermédiation » des acteurs en place : qui dit standardisation dit diminution du recours à des intermédiaires, rendus obsolètes (pardonnez-moi le terme) par la disparition des « frictions » qu’ils contribuaient à diminuer. Qui dit facilitation dit captation des précieuses données des clients finaux. Des centaines de startups cherchent à conquérir un pan de la chaîne de valeurs en apportant technologies et nouvelle approche du marché.
En France, l’arrivée récente sur le marché de « plateformes » comme Convargo, Chronotruck ou Fretlink vise à mettre en relation directe chargeurs et transporteurs tout en simplifiant les procédures et le paiement. À l’autre extrémité de la chaîne de transport, de très nombreuses startups proposent de « numériser » le transport du dernier kilomètre, en mettant en relation commerces, clients et livreurs indépendants. Toutes suivent la même logique : faciliter et simplifier les opérations tout en captant la relation avec le client final.
Nous n’en sommes en réalité qu’au tout début de la transformation numérique de la filière. L’exemple de la musique est évocateur : iTunes n’a pas seulement contribué à dématérialiser l’achat et l’écoute de la musique (traduisez : à en numériser la livraison) ; il a profondément modifié la manière dont celle-ci est consommée, et au-delà, conçue. Aujourd’hui les revenus issus de la musique jouée (concerts, évènements) égalent ceux de la musique écoutée (enregistrée, téléchargée et streamée). Les stratégies de mises sur le marché d’un artiste n’ont plus rien à voir avec celles d’il y a 20 ans.
Nul doute qu’en se transformant, la filière logistique va elle aussi connaître des changements beaucoup plus profonds. Amazon – toujours eux – n’est-il pas en train de négocier avec les grandes marques une transformation de leur merchandising ? « Pourquoi continuez-vous à conditionner et emballer vos produits pour le commerce de détail ? Concevez et fabriquez vos produits directement pour la vente en ligne ! ». Je vous laisse imaginer le potentiel de ruptures contenu par cette injonction en termes de packaging, merchandising et distribution…Souvenez-vous qu’avant iTunes, il fallait acheter un album entier pour écouter un seul morceau.
Envie d’aller plus loin ?
Nous vous proposons de découvrir la présentation que nous avons donnée le 6 avril dernier devant un club des acteurs de la logistique. Elle illustre les principaux enjeux de la transformation numérique, avec en bonus les « 10 commandements » des GAFAs, une analyse des points forts des géants du web, qui ambitionnent de devenir demain les géants de la logistique.
Ce support a été réalisé à l’occasion d’une soirée que j’ai animée pour l’association professionnelle Bretagne Supply Chain sur le thème « Transport, logistique : comment tirer parti de la transformation numérique ? ». Vous pouvez retrouver la vidéo intégrale de la soirée ici.
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