Et si l’on faisait de nos déchets une ressource ouverte ?

L’innovation ce n’est pas que du numérique. Cette semaine nous entrons dans le détail d’une mission que nous effectuons pour la filière de recyclage de pneus. Ou comment faire de nos déchets des ressources ouvertes pour faciliter leur réutilisation dans des projets innovants.

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Innovation : et si l’on faisait de nos déchets une ressource ouverte ?

Je vais vous parler de la mission la plus originale et – oserais-je dire – la plus innovante qui nous ai jamais été confiée. D’abord par son sujet : un déchet, le pneu usagé. Ensuite par la méthode mise en oeuvre : comment appliquer les méthodes d’ouverture et de partage qui ont fait le succès du logiciel au recyclage des déchets ?

Ne refermez pas tout de suite cet article, laissez-moi vous raconter cette histoire où un déchet du quotidien se transforme en trésor. Je ne doute pas qu’elle vous inspirera dans vos propres démarches de développement produit.

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Acte 1. Quel est le problème à régler ?

Crédit photo  »Michel Djaoui, Aliapur, DR

Vous êtes-vous déjà demandé ce que devenaient vos pneus une fois changés contre des neufs ? La loi prévoit que l’intégralité des pneumatiques usagés soient collectés et valorisés. Aliapur, notre client, est le leader de ce marché avec plus de 40 millions de pneus traités chaque année.

Que deviennent ces pneus une fois collectés ? Aujourd’hui, 18% environ sont revendus sur le marché de l’occasion ou du rechapage. Le reste est valorisé comme matière première et comme combustible de substitution. C’est mieux que la décharge, mais il est nécessaire de trouver d’autres débouchés.

Plus d’infos sur la filière  ici

Le pneumatique, même usagé, est un trésor caché. Concentré de technologies à l’état neuf , le pneu contient trois matières brutes potentiellement réutilisables : l’élastomère (sous forme de pneu entier, transformée en granulats ou en poudre), du tissu et une résille de métal. Ces matières sont assez simples à récupérer et transformer. Le caoutchouc issu du pneu usagé conserve par exemple de grandes qualités fonctionnelles d’élasticité, d’isolation, d’amortissement, de solidité ou de pouvoir drainant. Ces matières sont de plus bon marché et disponibles en quantité : plus de 335 000 tonnes de pneus sont collectées chaque année par Aliapur.

D’autres réutilisations existent déjà, mais elles restent moins développées : saviez-vous que les sols des aires où jouent vos enfants, les terrains de sport synthétiques où s’entraîne votre équipe ou encore les roues de vos poubelles sont déjà fabriqués à partir de pneumatiques recyclés ? Que des artistes, des ingénieur-e-s et des makers inventent chaque jour de nouveaux usages ?

Alors, pourquoi ne trouve-t-on pas plus de cas de réutilisations comme ceux-ci ?

Le problème est que le pneu en fin de vie souffre d’une méconnaissance et d’une mauvaise image.  Quand on pense « pneu usagé » apparaissent généralement des images peu flatteuses : pneu abandonné dans un garage, matière sale voir potentiellement toxique,… Comme beaucoup de déchets, il est difficile de les considérer comme une véritable richesse et une source de créativité.

Acte 2. L’élément déclencheur

En 2012, les deux dirigeants d’une entreprise de Nouvelle-Calédonie cherchent une solution pour empêcher les larves de moustiques de se développer dans les gouttières où stagne l’eau. En effet les moustiques dans les régions tropicales sont porteurs de virus dangereux comme la Dengue et Chikungunya. Or, ces insectes logent souvent à proximité immédiate des populations qu’ils frappent. La solution recherchée devait permettre de laisser passer l’eau dans les gouttières sans pour autant permettre aux moustiques d’y pondre. Les dirigeants se rapprochent des ingénieurs d’Aliapur, et ensemble conçoivent un composé de granulats répondant aux besoins de filtration, de non-pourrissement et de sécurité pour l’environnement. L’invention sera étudiée et validée par le Centre de Transfert Technologique du Mans (CTTM) pendant un an. Elle est désormais sur le marché sous la marque Aglostic et a fait l’objet de nombreuses récompenses.

En savoir plus sur Aglostic ici.

Voici une innovation frugale qui règle un vrai problème de santé publique tout en faisant du bien à l’environnement.

Cette expérience a eu un effet déclencheur pour les responsables d’Aliapur : si l’entreprise a pu contribuer à créer une solution comme Aglostic, que devrait-elle faire pour aider des dizaines, voire des centaines d’autres solutions utilisant des pneus usagés ?

L’objectif n’était pas financier : Aliapur, de par son activité, ne génère pas de bénéfices. Il était de diversifier les débouchés de valorisation et de privilégier ceux qui ont le meilleur bilan environnemental.

Acte 3. Comment renverser la table ?

Aliapur souhaitait trouver des débouchés nouveaux dont le bilan environnemental était égal ou meilleur que les réutilisations actuelles. L’entreprise souhaitait de plus garder une certaine maîtrise sur les débouchés en raison de ses obligations légales sans pour autant avoir à traiter individuellement chaque demande.

Comment concilier cette obligation de maîtrise avec des moyens nécessairement limités pour susciter et accompagner les projets externes à l’entreprise ? Classiquement, les entreprises mettent en place une cellule interne dédiée à l’examen au cas par cas des demandes de réutilisateurs. Elle se retrouvent dès lors confrontées à un double risque :

  • ne pas susciter assez de projets de réutilisation
  • susciter un trop grand nombre de projets

Comment attirer un nombre suffisant de réutilisateurs ? Aliapur n’est pas la SNCF ou la BNP : les startups ne se pressent pas dans leur hall d’accueil pour leur proposer des produits innovants. Or en l’absence d’une masse critique suffisante de projets, le risque est grand d’accorder trop d’importance  à des idées de faible valeur. Difficile de rejeter des idées quand on ne dispose pas d’un “flux de propositions” suffisant.  

Paradoxalement un afflux trop grand de projets conduit souvent aux mêmes conséquences : face à un flot de demandes, l’équipe dédiée à l’innovation devra sélectionner à l’entrée les projets sur lesquels elle affectera ses moyens limités; il est fort probable que la priorité sera accordée aux projets ayant a priori le plus de chance de réussir (= les moins risqués) et portés par les acteurs les plus « rassurants » (= grands groupes, les projets subventionnés, les innovations incrémentales). Conséquence : l’entreprise se retrouve à soutenir des projets “attendus” sur des marchés “connus”, avec peu de chances que l’un d’eux change un jour le marché.

C’est l’effet “goulet d’étranglement” des dispositifs classiques d’innovation dans les entreprises.

C’est pourquoi lorsque Aliapur nous a consultés nous avons avec Gael Musquet proposé une démarche inverse :  “faire du pneu usagé une ressource ouverte”.

Plutôt que de traiter au cas par cas chaque demande de réutilisation, nous avons proposé à Aliapur d’ouvrir ses ressources et les exposer de manière à ce que les réutilisateurs, quels qu’ils soient, puissent y accéder facilement et sans contrainte. Favoriser la créativité et la croissance des réutilisateurs en leur fournissant tout ce qui est nécessaire à leur projet, et en les encourageant à améliorer eux-mêmes ces ressources.

Cette démarche est pratiquée dans le monde du logiciel depuis plusieurs décennies, avec le succès que l’on connaît. Si vous souhaitez créer par exemple une application qui fonctionne sur un smartphone, des ressources sont organisées et accessibles pour vous accompagner de bout en bout. Pas besoin de prendre rendez-vous chez Apple : on trouve en ligne des “kits de développement”, de la documentation et des espaces d’échanges. Ce n’est pas l’anarchie pour autant : les règles d’utilisation sont clairement exposées et leur acceptation n’est pas négociable. En revanche, une fois ces règles acceptées, la liberté de créer est quasi infinie et le “goulet d’étranglement” est réduit au minimum. À titre d’exemple, 13 millions de développeurs sont inscrits dans la communauté d’iOS (le système d’exploitation de l’iPhone). Ils ont créé plusieurs centaines de millions d’applications et Apple leur a déjà reversé 50 milliards de dollars en dix ans.

Concrètement, nous avons proposé à Aliapur de s’inspirer des méthodes d’innovation pratiquées dans le logiciel en mettant à disposition des réutilisateurs :

  • une documentation ouverte et accessible sur les possibilités offertes par le pneu usagé
  • une aide technique à la réalisation de transformations
  • un kit de démarrage
  • et bien entendu des matériaux sous différents formats.

Acte 4. On passe à l’action

Nous poursuivions par cette démarche plusieurs objectifs interdépendants :

  • rendre accessibles les connaissances sur le sujet afin d’abaisser les barrières à l’entrée
  • inspirer les réutilisateurs potentiels avec des exemples documentés et des ressources directement exploitables
  • inciter la communauté des réutilisateurs à contribuer à l’amélioration des connaissances et des pratiques

Voici ce que nous avons mis en place depuis début 2017 :

Créer une première documentation sur le produit et ses usages

Une toute première version du Wiki non publique a rassemblé les éléments essentiels :

  • état de l’art des cas existants de recyclage de pneus usagés : à la fois ceux pour lesquels Aliapur était impliqué, mais également tous ceux trouvés dans le cadre de nos recherches
  • premiers éléments techniques sur les “produits” : caractéristiques fonctionnelles, toxicologie,…

Séance d’idéation au Techshop LM d’Ivry

Générer de multiples exemples de réutilisations pour inspirer

Début février nous avons réunis au TechShop LM d’Ivry sur Seine une dizaine de réutilisateurs potentiels – entrepreneurs, makers, professionnels du bâtiment et du secteur de la plaisance – autour des ingénieurs d’Aliapur. Les principaux matériaux issus du pneu étaient posés sur la table, même si l’objectif n’était pas de fabriquer mais de trouver des idées de réutilisations. Un grand merci en particulier à Dara Dotz, Henriette HippomèneBertier LuytCorentin Larose et Christophe Lambrecq pour leur participation.

Cette première vague d’idéation a permis de générer une centaine d’idées. Une dizaine ont été sélectionnées et approfondies en équipe : types de transformation, marchés concernés, impacts environnementaux,….

Ces idées furent extrêmement variées : de la protection pour le mobilier urbain à de la litière pour chat réutilisable en passant par des cales pour panneaux solaires. À l’image de la variété des réutilisations que nous souhaiterions susciter ensuite.

Lien vers le Trello qui recense les idées ici.

Nous avons enfin “crash-testé” la première version du wiki pour voir si les ressources qu’il contenait auraient été suffisantes pour réaliser les projets inventés.

L’objectif de cette démarche n’était pas de trouver les meilleurs projets ni les plus faisables mais de valider la pertinence et l’utilité du wiki.

L’exercice nous a permis également de valider les formes de conditionnement des matières transformées (granulats, poudrettes,…) nécessaires pour pouvoir commencer à tester les possibilités du produit.

Créer un starter development kit

Nous avons constaté que le panel de réutilisateurs avait besoin de toucher et manipuler les matériaux sous différentes formes : morceaux bruts, granulats, poudrette, résille, tissus.

L’idée est venue de proposer un “kit de démarrage” comme il en existe pour l’électronique et le logiciel ouverts avec les kits Arduino ou Grove.

Le Starter Kit d’Arduino

L’équipe d’Aliapur a dû trouver de nouveaux conditionnements pour les matériaux et les éléments comme la résine, afin de disposer d’un kit transportable et facile à utiliser.

Ce n’est qu’une première version beta, mais elle permet déjà à des makers de faire leurs premières armes et tester quelques réutilisations de matières.

Notre objectif n’était pas d’en faire un joli kit comme celui d’Arduino, mais de sortir rapidement le nécessaire pour les réutilisateurs.

Le tester auprès des utilisateurs internes

Avant de se lancer dans le grand bain, il nous a semblé utile de présenter en premier lieu la démarche et le starter kit aux salariés d’Aliapur :

  • ils sont les premiers concernés et les oublier aurait été une erreur
  • ils sont les premiers “connaisseurs” des produits et méthodes; certains ont peut-être des idées de réutilisation

Le 28 avril, Gael est allé présenter le projet devant les salariés. Cette séance s’est accompagnée d’une mise en pratique avec utilisation du starter kit.

Diffuser une version publique du Wiki

Le wiki est désormais en ligne. Il contient désormais plus de 60 pages de textes, contenus visuels et liens vers d’autres ressources utiles. Difficile de trouver plus d’informations sur ces produits et matières ailleurs. Nous l’avons volontairement hébergé sur GitHub, qui est un outil mondialement connu et qui offre les meilleures possibilités d’exposition et de traçage des contributions.

Lien vers le Wiki ici

Toutes remarques, questions et contributions sont évidemment les bienvenues.

Aller au contact des réutilisateurs potentiels pour présenter le wiki et le kit

Les plus belles ressources n’ont aucun intérêt si elles restent inconnues de leurs destinataires. C’est pourquoi nous avons prévu de prendre contact avec des organisations-relais et des influenceurs, d’abord individuellement, puis dans le cadre de manifestations comme le FabLab Festival de Toulouse les 11 et 12 mai prochain, où nous irons à la rencontre des personnes intéressées. Nous sommes disponibles évidemment pour présenter ce projet dans d’autres manifestations.

Si la documentation est pertinente, des projets devraient commencer à utiliser ces matériaux plutôt que de l’élastomère, du métal ou des tissus neufs et plus coûteux. Dans la mesure du possible, la fourniture de ces matériaux au plus près du lieu de réutilisation (circuit court) sera envisagée.

Disposer d’autant de ressources matérielles et immatérielles pour créer des produits vertueux d’un point de vue environnemental est rare, voire unique.

Reste à le faire savoir.

Acte 5. Nous avons besoin de vous

Notre objectif est que les principaux lieux de fabrication et de création ouverts – fablabs, hackerspaces, écoles de design, recyclerie,… disposent d’un starter kit et connaissent le Wiki. Nous faisons le pari que des milliers de personnes dans le monde sont en train de mûrir, de mettre en œuvre ou de terminer un projet nécessitant ce types matériaux. La connaissance de ces ressources les aiderait grandement.

Il reste ensuite d’innombrables ressources à créer pour faciliter la création : tutoriaux, autres kits de développement, formations, repérage des référents, conseils, meetups,…Nous avons besoin de vous pour faire connaître ce projet, le diffuser et que la communauté puisse contribuer à son amélioration.

Le chantier est ouvert : c’est à vous de vous en emparer.

Lien vers les cas de réutilisations

Lien vers les ressources

Lien vers le starter kit

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