Itinéraire d’un pionnier de la 3D
Si la 3ème révolution industrielle arrive en France, l’Histoire retiendra peut-être que c’est en Bretagne qu’elle a débarqué, grâce à un autodidacte passionné et opiniâtre. Bertier Luyt, serial entrepreneur, fondateur du Fabshop, initiateur des Maker Faire en France, nous reçoit dans ses locaux près de Cancale. Il revient du CES de Las Vegas et s’apprête à repartir pour Paris où il inaugure le FabClub, son dernier projet.
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Entretien avec Bertier Luyt, réalisé le 19 janvier 2015 à St-Méloir des Ondes, par Stéphane et Ludivine (@ludi_vin).
Qu’est-ce que le FabShop ?
Le Fabshop est à la fois distributeur de solutions de fabrication numérique, animateur d’un atelier de prototypage et de makerspaces, et l’organisateur des MakerFaire en France. Nous avons aussi un studio de design et de création, dont le métier est de servir des clients qui ont des projets d’objets de toute sorte. Nous sommes enfin éditeurs de contenus sur notre site web et co-éditeur du livre : l’impression 3D pas à pas.
Quelle était la vision initiale du Fabshop ?
J’ai appris tout seul à maîtriser Sketchup, un logiciel de 3D, en allant sur des blogs, des forums,…En août 2010 j’ai été invité par Google, qui avait racheté le logiciel, à une conférence dans le Colorado. J’y ai donné la première conférence sur la modélisation 3D pour la fabrication digitale. Les gens de chez Sketchup étaient très surpris, ils se demandaient pourquoi je voulais faire ça : « je modélise en 3D, je fabrique en 3D, si j’avais un bouton envoyer à l’imprimante 3D dans Sketchup ce serait pas mal ». Et c’est comme ça que ça a commencé. Lire le récit de l’évènement ici et le texte de la conférence de Bertier là.
En cherchant à fabriquer ma propre machine j’ai découvert le Maker Movement, des dizaines de sites web où des passionnés partageaient des trucs et des astuces sur les plateformes de prototypage type Arduino, les micro-contrôleurs, la programmation,…J’ai observé cela pendant longtemps depuis ma fenêtre. En allant chez Google pour la première fois je me suis arrêté à une Maker Faire : j’ai compris que tout ce que je voulais faire était possible.
Un an plus tard (il y a 3 ans) j’ai réuni tout cela dans un projet appelé Le Fabshop : un atelier de fabrication numérique,…à la fois une société qui ferait de la création, qui animerait des espaces et qui vivrait de la distribution aussi bien d’électronique que de petites machines.
Le grand public se focalise sur la machine « imprimante 3D » : n’est-ce pas un peu réducteur ?
Il y a une phrase assez célèbre : « dans les fablabs on vient pour les imprimantes 3D, on reste pour les découpes laser ». L’impression 3D c’est ce qu’il y a de plus nouveau, de plus spectaculaire dans les technologies accessibles au public aujourd’hui. Nos clients sont plus de 80% des professionnels, 20% de l’éducation (du collège à l’enseignement supérieur). Nous avons l’habitude de dire au FabShop : « l’impression 3D tout le monde en parle, nous on le montre ».
En 2014 on a passé 20 semaines devant le public. 6 semaines dans un musée, 6 semaines au BHV où nous avons organisé la plus grande exposition d’impression 3D au monde avec plus de 40 imprimantes pendant 6 semaines dans un magasin qui a reçu 1,2 million de visiteurs.
Comment s’y retrouver entre le Do-It-Yourself, l’open source et la miniaturisation des moyens de production,…
Le Maker Movement c’est l’évolution du Do It Yourself en « Do It Together » c’est l’impact du web 2.0., du contenu généré par les utilisateurs. Quand on partage des trucs et des astuces, on ne fait plus tout seul, on fait avec les autres. Le Maker Movement participe de la 3ème révolution industrielle, d’une idée assez optimiste qui est qu’en partageant ce qu’on sait – échecs et réussites – en cherchant on va pouvoir répondre à quasiment tous les défis auxquels nos sociétés contemporaines sont exposées : environnementaux, sociétaux, économiques.
Les industries traditionnelles doivent-elles craindre ce mouvement ou au contraire peuvent-elles en tirer quelque chose ?
Oui et non. D’abord elles ont beaucoup à apprendre sur leurs propres modèles, sur leurs clients, sur leurs publics, sur leurs collaborateurs qui aspirent à d’autres choses que d’avoir une action répétitive, tayloriste. Au Fabshop on observe le développement des fablabs en entreprise ou en tout cas des espaces de créativité. Que cherchent ces entreprises lorsqu’elles encouragent les collaborateurs à être créatifs ? Leur redonner le goût de travailler pour la boîte, le goût de l’intraprenariat. Soit pour des projets qui seront développés par l’entreprise plus tard, soit des projets qui permettront aux employé(e)s de développer leur propre activité et de sortir du cadre dans lequel ils sont.
En termes de production va-t-on vers une « personnalisation de masse » et des « usines à la demande » ?
Le présent des techniques de prototypages rapides est d’aller vers des solutions de prototypages instantanés. Leur avenir immédiat est de devenir des solutions de fabrication instantanée. La fabrication à la demande l’horizon est encore à 5-10 ans. Aujourd’hui il y a encore plein de problèmes autour des matériaux, de la complexité des objets multi-matériaux. Il reste encore beaucoup de chemins à parcourir. Le principal frein n’est d’ailleurs pas tellement technique, mais légal : à partir du moment où l’on transfère la responsabilité de produire des pièces, qui est responsable en cas de problème ? Le fabricant d’origine ? Celui autorisé à la reproduire ? Si demain Darty se met à fabriquer ses propres pièces détachées, ils prennent la responsabilité en cas de défaillance potentielle de ces pièces.
Si tout le monde peut produire, ne va-t-il pas y avoir un transfert dans la chaîne de valeurs du producteur vers le designer qui conçoit les produits ?
C’est un peu notre pari : c’est pour ça qu’aujourd’hui l’évolution du Fabshop en 2015 et l’objet de notre levée de fonds est de renforcer notre pôle de design et de devenir éditeur de contenus 3D pour l’impression et la fabrication digitales. L’idée étant que si les prédictions des analystes se révèlent juste on parle de 20 millions d’imprimantes 3D en 2020 contre moins de 200 000 à l’heure actuelle. On imagine bien que si même les téléphones devenaient des scanners 3D potentiels, cela ne donne pas à leurs propriétaires suffisamment de compétences pour pouvoir imprimer des objets en 3D. Nous notre pari c’est de développer des catalogues d’objets prêts pour l’impression 3D, prêts pour la fabrication digitale, et de devenir fournisseurs de catalogues complets d’objets originaux. Nous avons déjà identifiés quelques grands champs de développement de nos catalogues.
Quels sont les avantages d’entreprendre près de St-Malo ?
C’est à l’occasion d’un concours de création d’entreprises organisé par l’agglomération de St-Malo « St-Malo 2015 » que j’ai formulé un projet qui traînait dans ma tête depuis longtemps. Je ne sais pas s’ils se rendaient bien compte à qui ils donnaient le prix « coup de cœur ». Le prix remporté m’a permis de partir en Californie pendant 10 jours, rencontrer les boîtes avec qui je travaille aujourd’hui, me créer mon carnet d’adresses.
Là-bas, le fait que je sois autodidacte, pas diplômé, ne posait de problème à personne. Je m’étais payé un billet pour une conférence où je me suis retrouvé assis entre le patron d’Autodesk et le patron de Techshop, des gens avec qui aujourd’hui on travaille beaucoup. Pour eux, le fait qu’on soit à St-Malo n’a aucune importance, voire même c’est plutôt un avantage : quand ils viennent en France, ils passent un ou deux jours à Cancale, on mange des fruits de mer en terrasse. Pour eux c’est la grande banlieue parisienne.
En 2015 nous serons 25 collaborateurs d’ici au mois de juin, avec le développement du Fabclub à Paris. C’est plutôt marrant non ?
Quels conseils tu pourrais donner à quelqu’un qui a envie de se lancer ?
D’abord d’être résilient. Apprendre la tempérance, à attendre le moment venu pour obtenir ce qu’on veut. Considérer que le « non » n’est pas une réponse. Faire le tour quand il y a des obstacles. Quand votre banquier vous regarde avec des yeux de merlans frits, en trouver d’autres. Avoir confiance dans son projet. En 2011 quand j’ai parlé d’impression 3D personne ne savait de quoi il s’agissait. En 2012 c’était une évidence. Deux ans plus tard avec l’investissement qu’on a fait dans la communication autour de ce projet on en tire des bénéfices. Si on est convaincu de son projet et que personne n’y croît il n’y a pas de raisons de ne pas insister et d’aller au bout. Éviter les oiseaux de mauvais augure, changer de trottoirs et se concentrer sur les gens qui vous donnent de l’élan et vous aident à avancer. Moi j’ai eu la chance de m’être bien entouré depuis le jour 1. D’avoir rencontré des gens brillants qui ont adhéré au projet et qui font partie de cette équipe aujourd’hui.
Merci à Bertier pour son temps et bon vent à toute l’équipe !
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Et après l’avoir partagé, découvrez la présentation de Bertier à TEDx Rennes en 2014 :
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