Le logiciel dévore Volkswagen

Première partie d’un article sur les changements qui affectent le secteur de l’automobile à l’ère numérique, vus au travers du prisme de la récente « affaire Volkswagen » .

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Le logiciel dévore le transport. Beaucoup pensaient les constructeurs automobiles incapables de prendre le virage du numérique. Mais c’est l’utilisation d’un logiciel maison qui a précipité le premier d’entre eux, Volkswagen, dans une crise sans précédent. Au-delà de ses conséquences définitives – imprévisibles à ce jour, l’affaire Volkswagen, ou #VWgate, a pourtant tout d’une crise du passé. Avec ses normes absconces, ses contrôles aléatoires et ses systèmes propriétaires, il symbolise le “monde d’avant”. Un monde où s’affrontent de grandes marques loin des yeux – et des besoins – du consommateur, sous le regard bienveillant des régulateurs. Le #VWgate en dit long également sur l’impréparation des constructeurs au “monde qui vient” : un monde centré sur l’usage plutôt que la possession, où la loyauté créée sera la principale valeur pour les entreprises. Côté technologique enfin, le #VWgate n’est qu’un avant-goût de la complexité des enjeux à venir en matière de numérique et de société. Lorsque l’action des hommes va s’hybrider avec la programmation des machines, les notions de confiance, de risque et d’éthique des organisations seront totalement bouleversées. Il est urgent que les entreprises prennent conscience de ces changements en repensant totalement la manière de concevoir, produire et diffuser leurs produits. À l’ère numérique, plus personne ne peut prévoir quand et par quel bout il sera dévoré.

Cours de l'action VW

Cours de l’action VW

  1. Pourquoi est-ce une crise du passé ?

Le bon vieux temps où l’on jouait aux gendarmes et aux voleurs

Les entreprises jonglent constamment avec les réglementations. Délibérément ou parce qu’elles ne peuvent tout contrôler en leur sein, chez leurs sous-traitants,… Dans le cas précis de Volkswagen, la fraude est volontaire, mais la pratique n’est pas nouvelle. Cet article rappelle que Ford avait été épinglé en…1998 pour avoir – déjà – installé une “stratégie de contrôle électronique sophistiquée” sur ses vans, afin de les faire consommer moins quitte à polluer plus. Mutatis mutandis, 17 ans après les logiciels sont plus élaborés mais le jeu reste le même : il s’agit d’un calcul de probabilité entre le coût de la triche et le bénéfice espéré. L’économie directe, estimée à 300€ par moteur valait-elle les 16 milliards d’euros de pénalités que risquent Volkswagen (hors plaintes de particuliers et d’associations) ? Sans doute le constructeur ne comptait-il pas sur l’émergence de « lanceurs d’alerte » comme l’ICCT, une ONG présente dans le monde entier. C’est elle qui a découvert presque par hasard le pot-aux-roses, en faisant subir à des voitures des tests différents des « cycles » habituels, et en trompant ainsi le logiciel malin.

Une bonne campagne de pub et on oublie tout ?

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Un sondage réalisé par The Independant après le scandale VW révèle que 69% des personnes interrogées ne font plus confiance aux marques. 66% considèrent même qu’aucun constructeur automobile n’agit pour l’ “intérêt public”. Va-t-on pour autant vers un rejet du diesel ? Un article du Figaro nous rappelle les précédents des crises alimentaires : « si pour 70% des consommateurs l’affaire des plats préparés à la viande de cheval était révélatrice d’une réelle détérioration de la qualité des produits agroalimentaires (…), paradoxalement les Français n’en ont pas pour autant modifié leurs habitudes alimentaires.” De même, la consommation de viande de boeuf a bien chuté de 30% lors de la crise de la vache folle (en 2000) mais elle a retrouvé son niveau antérieur à peine un an plus tard. Il est peu probable par conséquent que votre voisine vende sa Golf TDi parce qu’elle pollue plus que prévu. Peu probable aussi que les constructeurs subissent les foudres des autorités. Selon l’adage too big too fail (trop gros pour échouer), aucune femme ou homme politique ne se risquera à précipiter la chute d’employeurs aussi importants que les constructeurs automobiles. Comme les banques en 2008, ils n’ont pas à craindre l’acharnement des pouvoirs publics. Vous me direz, il reste le 4ème pouvoir : les médias. Mais les médias sont tenus par le portefeuille. Difficile de critiquer des annonceurs qui apportent 3 milliards d’€ par an à un secteur exsangue (source : ici). Les régies publicitaires sont là pour le rappeler fermement à ceux qui n’auraient pas compris, comme l’a révélé le Canard Enchaîné (lire ici).

« C’est une révolte ? »

Dix jours après l’annonce de la fraude, près de 20 000 tweets utilisant le hashtag #VWGate essaimaient déjà le web, diffusant les articles, blogs et autres plaisanteries sur l’affaire. Je vous laisse explorer la carte interactive ci-dessous qui montre bien les « ondes de choc » sur la toile.

Ce n’est pas la première crise qu’une grande marque affronte sur les réseaux sociaux (pensez à Nestlé avec KitKat ou Total avec l’Erika). La particularité de celle-ci est la variété des réactions : sympathisants et militants écologistes, acteurs du monde économique, intellectuels, partisans du logiciel libre,…

Si les constructeurs pensent s’en sortir en faisant pénitence à grand coup de publicité, ils sont en train de perdre une bataille bien plus importante : celle de la confiance de l’opinion publique.

Traduction : la réalité pour les propriétaires de VW diesel : leurs voitures émettent de 10 à 40 fois plus de polluants que dans la publicité (…) Sur quoi d’autres nous ont-ils menti ?

  1. Trust is the new (and clean) energy

Les constructeurs ont patiemment construit l’image de la voiture moderne autour de 3 grandes valeurs :

Le statut (« dis-moi dans quelle voiture tu roules je te dirai qui tu es »)

La sécurité (« ne craignez rien tout est sous contrôle »)

Le plaisir de conduire («sensations et maîtrise de la route »)

Ces trois valeurs vont être sérieusement remises en cause dans un avenir proche.

La voiture de demain sera propre

Le scandale VW lève le voile sur une hypocrisie vieille comme un publicité pour la Coccinelle : aucun constructeur ne sait faire de moteurs « propres » ayant des performances et un coût acceptables. Elon Musk, le patron de Tesla, a beau jeu de le rappeler. Selon lui, le scandale Volkswagen va aider le public à réaliser que la voiture « verte » n’existera pas tant que celle-ci utilisera une énergie fossile. « En ce sens le scandale peut être positif, pas seulement pour Tesla et ses voitures électriques, mais pour l’humanité » nous dit-il ici. Les prochains débat de la COP21 seront intéressants à ce sujet. Les autorités risquent de se retrouver dans une situation intenable face aux ONG et à l’opinion publique. Sans aller jusqu’à un scénario à la Sarbanes-Oxley, il est fort probable que de nouvelles règles accélèrent la transition énergétique du secteur. Les outsiders d’aujourd’hui comme Tesla (moins de 40 000 voitures par an sur un marché de 74 millions) se retrouveront dans une position favorable, d’autant plus que la marque de Musk équipe déjà les Smarts et Mercedes classe B en moteurs et batteries électriques.

La voiture de demain sera connectée

À l’instar de votre téléphone, votre voiture va évoluer pour n’être plus qu’une interface entre vous et votre « environnement numérique » : vous pourrez accéder à vos notifications, messages, contacts, fichiers, jeux,…et toutes les applications à venir, aussi facilement que si vous étiez devant votre ordinateur. La valeur va ainsi se déplacer de votre voiture (hardware) vers les contenus et services auxquels vous pourrez accéder (software et OS). Concrètement, peu vous importera de rouler en Peugeot ou en Volkswagen, du moment que vous pourrez continuer à tchater avec vos ami(e)s et profiter du trajet pour comparer des locations de vacances. Les constructeurs l’ont déjà compris, eux qui intègrent les uns après les autres les grandes « alliances » autour des environnements Google et Apple, après avoir tenté en vain de créer leurs propres bouquets de services « connectés » (R-Link & co). Ceux qui résisteront connaîtront le sort du Minitel, mort de n’avoir pas voulu rejoindre les grands standards de l’informatique et du web.

Et la voiture autonome ? Son arrivée progressive – à la fois dans le nombre et dans les fonctionnalités – devrait précipiter le transfert de valeur de la voiture vers le logiciel. Si les derniers modèles haut-de-gamme intègrent des fonctionnalités rendant de plus en plus autonome le véhicule , le reste du marché en est encore très éloigné. D’où la question cruciale pour l’avenir : si la sécurité de votre voiture relève de plus en plus du logiciel, à qui ferez-vous le plus confiance pour la développer ? Sans surprise, une étude américaine révèle que les consommateurs seront plus enclins à acheter une voiture autonome chez Google que chez GM ou VW. Et ce bien avant d’apprendre que ce dernier se servait du logiciel avant tout pour les tromper sur la marchandise.

Comme le smartphone, la voiture ne sera plus qu’une « enveloppe » standardisée (pensez aux ressemblances entre les différents modèles de smartphones et tablettes) donnant accès à un univers de services qui lui sera personnalisé. La forme et le poids des voitures évolueront pour répondre à des contraintes totalement différentes. Les géants du logiciel en assureront demain les fonctions essentielles : garantir une sécurité maximale, utiliser une énergie efficiente et durable, enrichir et personnaliser l’expérience utilisateur, réguler le trafic. Si les constructeurs comme Peugeot (lire les déclarations de Carlos Tavares à Francfort ici) parlent maintenant de « partenariats » dans lesquels ils fabriqueraient les voitures et conserveraient le contact avec l’utilisateur final, ce changement ressemble fort au passage de l’étape 4 à l’étape 5 du « déni face à la transition numérique » cher à Nicolas Colin.

Et ce n’est pas tout : un changement encore plus profond se profile. Le glissement d’une multitude de systèmes « propriétaires » vers un ou deux standards permettra une autre grande révolution : la voiture individuelle changera de modèle pour intégrer un réseau de services beaucoup plus large dans lequel elle ne sera qu’une « offre de sièges » au sein du système global de mobilité.

La voiture de demain sera réseau

S’agissant de mobilité, les politiques publiques ont longtemps opposé les transports « collectifs », qui se distinguaient par des véhicules voire des infrastructures dédiées (train, tramway, bus) et les transports « individuels » eux aussi caractérisés par leur mode (voiture, vélo, marche à pied). Ainsi un bus transportant trois personnes serait « collectif » alors qu’une voiture remplie de 5 personnes serait « individuelle » ! Dans la même logique, les transports collectifs seraient publics et les transports individuels privés. Aujourd’hui, ces distinctions s’estompent avec la généralisation de solutions qui hybrident modes collectifs et individuels, publics et privés. Les voitures Autolib’ ou Zipcar appartiennent à une société privée mais bénéficient d’emplacements publics de stationnement ou de recharge. Drivy ou Tripndrive proposent de faire de votre propre 308 une « voiture à partager » pour tous les abonnés à leur service. Blablacar, Uber ou encore Amazon veulent faire de chacun de vos trajets de potentielles offres de déplacement pour les passagers ou marchandises. Alors que le modèle économique du transport « collectif » vacille, les solutions permettant le partage d’une voiture et/ou d’un trajet ont bénéficié de plus de 15 milliards de dollars d’investissement privé. Blablacar par exemple serait, avec 10 millions d’euros à peine de chiffre d’affaires, valorisée plus d’un milliard d’euros. Quelle mouche a piqué les investisseurs ? L’explication est simple : la croissance de ces services est exponentielle grâce au web et au mobile, et leur potentiel est immense dans des villes embouteillées et polluées. Pour Marc Andreessen, gourou de la Silicon Valley (et auteur du célèbre « software is eating the world » qui inspire le titre de cet article), la technologie pourrait permettre de réduire de 90% le nombre de voitures en circulation (lire ici) !

La transformation en cours ne concerne donc pas le modèle de voiture que vous achèterez plus tard – électrique ou non, autonome ou pas-, mais un basculement de la voiture possédée vers la voiture « à la demande ». Dans ce nouvel ordre, la valeur se déplacera du véhicule vers le système (ou réseau), seul capable de mettre en relation offre et demande de mobilité. Quelles seront les qualités nécessaires pour réussir dans ce nouveau modèle ? La confiance : « la confiance est la nouvelle énergie ». Cette phrase de Frédéric Mazella, co-fondateur de Blablacar, signifie qu’à l’ère numérique, la confiance dans le service utilisé remplace les notions de statut et de possession. [À suivre]

La deuxième partie de cet article (lire : ici) traitera des enjeux de responsabilité des acteurs de la mobilité face à l’autonomisation des véhicules : aurons-nous confiance demain dans les robots qui nous transporteront ? Que se passera-t-il quand ces robots se retrouveront face à des situations insolubles ? Quelles seront les responsabilités en cas de problème ? Comment pourrons-nous veiller à comprendre et rester maître de ces technologies ?

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Merci à Philippe pour ses idées sur le sujet.

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