Pourquoi tu m’appelles « usager » alors que j’m’appelle « client » ?
La manière dont votre entreprise désigne les « destinataires finaux de son activité » n’est pas anodine. Au-delà des mots, le terme utilisé est révélateur de la culture interne de l’entreprise et de sa vision client.
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1. Les mots pour le dire
Et vous, comment appelez-vous les clients dans votre activité ?
Cette question n’a rien de légère. Alors que près de 8 Français sur 10 soulignent l’influence de la relation-client dans leur décision d’achat, 9 sur 10 estiment que les marques peuvent mieux faire dans ce domaine. Dans une économie dominée par les services, la capacité d’une entreprise à délivrer une bonne expérience client est un avantage compétitif majeur. Or cette capacité n’est pas qu’une question d’outils et de techniques : elle implique des comportements, des process et des valeurs partagées par l’ensemble du personnel. Ce que les experts appellent la culture- (ou le sens du) client.
Ralph Hababou, dans son livre référence Service Gagnant (First, 2009), en donne l’analyse suivante :
« S’il était encore nécessaire d’apporter la preuve que nous n’avons pas au fond de nous le culte du client, il suffit de voir quels mots on utilise généralement dans les entreprises pour le nommer.
Ensuite, faites vous-même le test et recherchez comment, dans votre entreprise, on appelle le client au quotidien. Révélateur, n’est-ce-pas ?
Difficile dans ces secteurs de mobiliser son personnel autour d’un projet centré sur…- euh, comment dites-vous déjà ? – ah oui ! le client.
2. Ce qui se transporte bien s’énonce clairement
Le transport est un bon sujet d’étude. La dichotomie entre « usagers » et « clients » y a longtemps été poussée à l’extrême. Je l’ai moi-même utilisée pour introduire une présentation sur le marketing des transports. Voyons les définitions…
Un(e) usager(ère) est « une personne qui utilise un service, en particulier un service public ou qui emprunte le domaine public. Les usagers du métro » (Le Robert)
Pour Wikipedia « Un usager est une personne qui utilise un service public, par opposition : au client, celui qui utilise les services d’une entreprise privée et à l’adhérent, celui qui est membre d’une organisation privée».
Le Robert distingue le type de service pour définir la notion d’usager tandis que Wikipedia ajoute un critère supplémentaire : celui de la nature juridique du prestataire.
Cette dernière définition paraît inadaptée au transport de voyageurs, qui est très largement délégué à des entreprises privées.
L’utilisation de ce terme vient plutôt du caractère public de la compétence exercée : les associations , la loi et les élus s’occupent des « usagers ». L’électeur n’est jamais très loin. Ainsi, on n’ « augmente pas les tarifs », on “fait davantage contribuer l’usager”.
Selon Le Robert, un(e) client(e) en revanche serait « une personne qui reçoit d’une autre personne, d’une entreprise, contre paiement, des fournitures commerciales ou des services ».
Cette définition semble convenir au transport, qui est très largement payant.
Pourquoi dès lors le terme « client » a-t-il tant de mal à être utilisé ?
En matière de transport aérien par exemple, on parle d’usagers quand il y a grève des contrôleurs, mais de clients pour qualifier les heureux utilisateurs du Lounge de l’A380.
Pour les opérateurs de transport public le client, c’est la collectivité locale. C’est celle qui signe le contrat (= Mme ou Mr le Maire). Les « vrais clients », les utilisateurs finaux, votent pour le Maire, pas pour l’opérateur.
On retrouve ici tout le sens du « service public » mentionné dans la définition du Robert. L’usager serait un client « non rentable » : celui qu’on ne transporterait sûrement pas si l’on n’était pas subventionné. Par exemple, un enfant isolé dans un hameau en montagne a droit au transport public pour se rendre tous les jours au collège. Il paiera le même tarif ou presque que celui qui habite à 15 minutes du centre. C’est une obligation légale, issue de l’obligation de scolarité.
Le souci est que, du point de vue de la relation-client, les professionnels sont confrontés à une autre distinction.
Ils distinguent ainsi le « client captif » du transport collectif du client « non captif » : celui qui a accès à un autre mode de transport (= l’automobiliste).
« Un client captif est un client dont on sait, pour une raison contractuelle, légale, technologique (…) ou économique, qu’il reviendra nécessairement faire ses achats auprès de l’entreprise concernée. Il est l’exemple absolu du résultat d’une fidélité induite par un élément autre que la satisfaction et le souhait naturel d’être fidèle » (E-marketing). Bel euphémisme.
C’est le sens de la formule de Louis Gallois, alors Président de la SNCF, quand il affirmait : « un client est un usager qui a le choix« .
Pour Boileau, « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ».
Voyageur, usager, client, captif ou non captif…difficile de s’y retrouver.
3. Le vocabulaire est aussi le ciment de l’entreprise
Éric Le Breton, dans « Les transports urbains et l’utilisateur : voyageur, client ou citadin ? » souligne l’impact des mots sur les hommes et femmes dans l’entreprise.
Il étudie la préparation du projet de VAL (métro) de Toulouse à l’intérieur de l’entreprise exploitante. Il constate que les personnels des filières « bus et métro » organisent leurs prestations autour du « voyageur » alors que ceux de la filière « action commerciale » privilégient le terme « client ».
L’auteur se demande : « la notion de client a-t-elle gagné l’écosystème, la profession, l’entreprise ou seulement une partie de celle-ci ? »
On peut en douter, ce qui explique ensuite les difficultés à faire changer les comportements et la culture de l’ensemble des salariés.
Cette question ne concerne pas que le secteur des transports.
Exemple dans la Silicon Valley, auprès d’une des entreprises les plus innovantes des 10 dernières années.
Square est une startup californienne qui développe un système de paiement par carte via smartphone. Son fondateur, Jack Dorsey n’en est pas à son coup d’essai : il est également le co-fondateur de Twitter. A priori il semble très éloigné des problématique de la RATP ou des Transports du Poitou. Et pourtant. Écoutez ce dialogue avec son directeur, Howard Schultz, (également fondateur des Starbucks Café).
Howard : « Pourquoi vous appelez vos clients (customers) des utilisateurs (users) » ?
Jack : « Je ne sais pas, nous les avons toujours appelé comme cela ».
Cette réflexion inspire ensuite à Jack Dorsey un article magistral qui sera diffusé à l’ensemble de ses salariés.
En voici un extrait :
« L’industrie des technologies toute entière utilise le mot utilisateur (user) pour décrire ses clients. Alors qu’il pourrait être pratique, utilisateur est un mot plutôt passif et abstrait. Personne ne veut être considéré comme un «utilisateur». Certainement pas moi. Et je ne dirais pas que ma mère est un utilisateur (… ) Le mot utilisateur fait abstraction de l’individu réel . Cela peut sembler un détail sans importance, mais le langage courant et les mots que nous utilisons ici donnent un ton à tout ce que nous faisons. Donc il est temps maintenant de nous distinguer de notre secteur d’activités et de repenser cela.
Le mot client (customer) est un mot beaucoup plus actif et plus audacieux. Il est honnête et direct. Il suggère immédiatement une relation que nous devons fournir à nos clients (to deliver on) (…) «
Jack s’engage personnellement dans ce changement : « si jamais j’utilise le mot utilisateur encore une fois, je paierai une amende de 140 $ ».
Et le CEO de conclure :
« À partir d’aujourd’hui, cessons de prendre nos distances avec les gens qui choisissent nos produits à la place de ceux de nos compétiteurs. Nous n’avons pas d’utilisateurs, nous avons des clients que l’on gagne. Ils méritent nos plus grands : respect, attention (focus) et service. Parce que c’est cela qui nous définit”.
(Jack Dorsey, 2012).
Je crois que je ne trouverai pas de meilleure conclusion ;))
Note : merci à Camille pour le titre de l’article.
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