Marketing de l’innovation : comment lancer un produit innovant ?

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi autant de startups échouent aux portes du succès  ? Pourquoi, malgré des lancements réussis, des produits innovants ne parviennent pas à atteindre le marché des entreprises établies ? Le livre Crossing the Chasm de Geoffrey Moore s’attaque au sujet le plus complexe en matière d’innovation : l’adoption de produits innovants par les entreprises établies.  Édité pour la première fois en 1991, il reste cependant une référence et ses récentes mises à jour le rendent encore plus incontournable. Difficile de développer une stratégie marketing de l’innovation sans connaître ses principes.

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Le scénario est toujours le même : un produit innovant est encensé par des publications d’avant-garde et remporte de nombreux “Prix de l’Innovation”. Ses créateurs sont reçus sur les plateaux télé et invités aux manifestations les plus en vue. Pourtant, un an après, leur produit n’est toujours pas adopté par les acheteurs des grands comptes. Les commerciaux recrutés grâce aux premières levées de fonds ne parviennent pas à imposer leur produit aux plus gros budgets de la place. Les clients continuent au contraire à privilégier les solutions leaders sur le marché, pourtant moins performantes. Incapable de conquérir le marché principal, la startup adapte son produit à ses premiers clients, se détourne de ses ambitions initiales puis meurt dans l’oubli.

Nous vous proposons de remédier au mal qui affecte les produits innovants en deux articles sur le marketing de l’innovation :

Toutes les illustrations ci-dessous sont adaptées du livre Crossing The Chasm de Geoffrey Moore.

Comment lancer un produit innovant ?

1. Le cycle d’adoption des technologies

En matière de produits innovants, le cycle d’adoption des technologies ne suit pas une courbe de croissance ininterrompue allant des primo-adoptants vers le marché de masse. Si certains segments de marché sont fortement connectés entre eux, d’autres au contraire nécessitent pour l’entreprise d’adapter sa stratégie afin de passer de l’un à l’autre.crossing the chasm -15marches

Pourquoi ? Par définition un produit innovant comporte un caractère nouveau pour ses utilisateurs. Il nécessite des améliorations et des modifications à ses débuts. Il n’est pas forcément optimisé pour l’environnement dans lequel il prétend s’établir. Par ailleurs son utilité complète n’apparaît souvent que lorsque le marché qu’il pénètre a changé sous son influence.

Pensez au cycle d’adoption de l’iPhone par exemple. Les utilisateurs de l’iPhone Edge de 2007 n’étaient pas les mêmes que ceux de l’iPhone 5 ou 6 aujourd’hui.

En matière de marché d’entreprises (BtoB), ce phénomène est encore plus important. Tous les segments de clientèle ne sont pas prêts à adopter de prime abord un produit innovant. Les segments de clients du marché de masse veulent bénéficier de produits dont l’assise technique, juridique et business (infrastructure, support technique et commercial, prix) est garantie et reconnue par leurs pairs. Les primo-adoptants – fans de technologies et visionnaires – au contraire attendent d’un produit un potentiel de changement plutôt que des applications concrètes. Ils sont prêts à payer plus cher un produit innovant et en assumer les risques. Think different.

La stratégie marketing des produits innovants doit donc s’adapter à ces attentes très différentes. Le succès auprès des early adopters ne garantit pas, au contraire, l’adoption par le marché mainstream (de masse). La rupture entre ces deux segments de marché est appelée le “gouffre” (Chasm) dans le livre de Geoffrey Moore. De très nombreuses startups et entreprises innovantes y sombrent, faute d’avoir su modifier leur stratégie de départ pour conquérir le marché de masse.

1. Comprendre votre marché avant de l’attaquer

Le marché est divisé en 5 segments dans le livre de Moore : les fans de technologies et les visionnaires forment les early adopters, les pragmatiques et les conservateurs forment le marché de masse ou mainstream market, enfin les retardataires ou sceptiques forment une catégorie à part. En termes de volume, les deux catégories centrales représentent chacune un tiers du marché global. Les early adopters ne représentent pas un enjeu en termes de chiffre d’affaires ou de marge, mais leur conquête est un passage obligé pour améliorer le produit et atteindre les autres segments.

Partons à la découverte des différents segments de marché. Je suis sûr que vous mettrez un exemple connu en face de chaque catégorie.

(1) Les fans de technologiescrossing chasm 15marches

Avant-gardistes, ils ont l’habitude de tester tout ce qui sort sur le marché. Il peut s’agit de particuliers – les “gourous” –  ou d’organismes internes aux entreprises, comme les labs ou départements R&D.

L’enjeu pour l’entreprise est de bien cibler la « niche » d’utilisateurs qui appréciera leur produit. Elle devra établir avec eux des contacts étroits et sincères, en mettant à leur disposition matériel et documentation, et en assurant un support technique efficace et réactif. Ils apprécient d’être sollicités en direct et donner leur avis.

(2) Les « visionnaires »

15marches crossing chasmPrêts à payer plus cher pour accéder les premiers aux nouveautés,  ce qui les convainc n’est pas tant la technologie mais la vision, le « pourquoi ? »  du produit. Au-delà des avancées techniques, ils recherchent le « saut quantique » que permettra peut-être de faire le produit dont ils rêvent. Leur soutien est précieux car ils bénéficient d’une aura certaine parmi leur communauté et les medias spécialisés. Savoir repérer les organisations visionnaires – entreprises, services dans l’entreprise, think tank, … –  est une qualité importante pour les entreprises innovantes. L’enjeu est de construire un discours sincère et ambitieux à même de les intéresser et les convaincre. Attention, ils connaissent très bien les arcanes de l’influençage : vous ne les achèterez pas avec quelques invitations.

(3) Le segment « pragmatique» du marché de masse (early majority)

15marches crossing chasmPrincipale composante quantitative du marché (⅓), elle est également la plus profitable. On y retrouve la plupart des acheteurs de grands groupes et PME performantes à la recherche d’innovations. S’ils sont optimistes et apprécient la nouveauté, les pragmatiques ont besoin de produits qui fonctionnent. Ils ne veulent pas être des pionniers car ils refusent d’utiliser des produits qui comportent encore des bugs.  Ils savent que, contrairement aux visionnaires, ils seront encore là en cas de problème et devront en régler les conséquences. Wait and see est leur motto. Attentifs au support, à l’infrastructure, à la solidité et fiabilité de l’entreprise qui fournit, ils se reposent naturellement sur les solutions leaders du marché. Par conséquent leurs références sont recherchées dans leur propre industrie, auprès de leurs pairs plutôt qu’à l’extérieur.

Prêts à payer un premium pour un gain direct (contrairement aux conservateurs), ils aiment mettre en compétition pour avoir le juste prix. N’espérez pas les convaincre en vous présentant comme “seuls sur votre marché”. Une fois conquis, les pragmatiques sont loyaux car n’aiment pas changer pour changer.

Les pragmatiques devraient être la cible prioritaire de toute entreprise innovante qui veut devenir leader de son marché. Les conquérir nécessite cependant une stratégie particulière : voir notre deuxième article sur la stratégie de conquête.  

(4) Le segment « conservateur » du marché de masse (late majority)

15marches crossing chasmIls représentent la même quantité en volume que les pragmatiques (⅓) mais moins profitable car plus sensible au prix. Les conservateurs croient plus dans la tradition que le progrès : ce sont des suiveurs. Ils n’utilisent jamais des produits n’ayant pas été préalablement adoptés par des utilisateurs auxquels ils s’identifient. Ce segment n’est pas à négliger pour autant, car il permet de discounter des produits en fin de cycle et déjà  “amortis” (R&D, publicité,…). Ces produits seront souvent utilisés pour un seul des usages pour lesquels ils ont été mise sur le marché (ex. : Blackberry uniquement pour téléphoner et envoyer des emails). On y retrouve les acheteurs de grands groupes ou administrations qui n’ont pas besoin de produits innovants dans leur fonctionnement courant.

Cette cible n’est pas prioritaire pour l’entreprise innovante, mais elle peut être incluse dans son business plan après la conquête du segment des pragmatiques.

(5) Les « retardataires », ou “sceptiques”

15marches crossing chasmIls refusent par principe la nouveauté, et sont plutôt “allergiques” à la technologie; on y trouvera les services non équipés de téléphone mobile ou toujours utilisateurs de cassettes VHS. Ils sont peu voire pas du tout concernés par les produits innovants.

2. Comment conquérir l’early majority ?

Pour récapituler, prendre pied sur ce type de marché nécessite :

  • une entreprise avec une technologie révolutionnaire qui permet une application nouvelle et inspirante,
  • des fans de technologies qui peuvent évaluer et apprécier la supériorité du produit selon plusieurs alternatives
  • des visionnaires qui peuvent anticiper une amélioration “quantique” de cette nouvelle application grâce à leur vision du marché.

Vous reconnaîtrez dans ce portrait la situation classique d’une startup au lancement de ses produits, cherchant des appuis dans la communauté autour de laquelle gravitent déjà ses fondateurs. La capacité à toucher ce type de marché ne leur est cependant pas réservée. Au contraire, une des forces de grandes entreprises technologiques est d’avoir su conserver des liens avec ces segments de clientèle pour lancer et améliorer leurs produits.

Exemple de dialogue entre Uber et des réutilisateurs sur la plateforme ProductHunt

Exemple de dialogue entre Uber et des fans de technos sur la plateforme ProductHunt

Concrètement, l’entreprise doit “alimenter” les fan de technologies avec les premiers modèles de son produit  tout en partageant sa vision avec les entreprises et organisations visionnaires. Elle invite les seconds à se rapprocher des premiers pour vérifier que leur vision est atteignable. L’entreprise devra aussi améliorer et modifier en continu son produit à mesure que les fans de technologies l’utilisent et proposent (ou effectuent eux-mêmes) des modifications. Chaque modification ou intégration nouvelle peut sembler lourde pour l’entreprise, mais c’est la meilleure garantie que le produit sera “prêt” pour toucher le marché de masse ultérieurement.

Cette phase requiert de l’entreprise une réelle capacité à répondre aux attentes et adapter son produit dans des délais raisonnables. Une autre difficulté est de ne pas se disperser dans de trop nombreuses directions, qui sont autant de marchés potentiels pour le produit. Conquérir les primo-adoptants peut s’avérer nettement plus séduisant et sexy que d’attaquer le marché de masse. Le risque dans cette période est de de naviguer sans but ni objectifs, au gré des attentes et suggestions des early adopters. L’entreprise brûle ses maigres forces et perd la concentration sur l’étape suivante.Si la tournure des évènements est celle-ci, l’entreprise doit alors se re-concentrer sur la résolution de problèmes plus simples, concernant un marché/un besoin plus spécifique. D’où l’importance d’avoir déjà à ce stade une stratégie posée d’attaque du marché suivant : le marché mainstream, ou marché de masse.

L’article suivant nous montrera comment mettre en place cette stratégie pour « franchir le gouffre ».

À retrouver ici : startups : comment s’imposer sur le marché des entreprises établies ?

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Photo : Techshop

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