iDVROOM : l’esprit du covoiturage entre à la SNCF

SNCF lance iDVROOM, un nouveau service de covoiturage. Entretien avec son directeur Olivier Demaegdt, serial-entrepreneur dans le développement durable. Olivier nous parle du lancement, de ses relations avec la SNCF et de l’avenir du transport.

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Le covoiturage devient un métier à part entière de la SNCF. Sous la marque iDVROOM, un nouveau service a été lancé le 1er septembre dernier, qui fusionne les activités d’Ecolutis (EasyCovoiturage) et Greencove (123envoiture). Si la nouvelle entité affiche de belles ambitions, elle a conservé ses spécificités et son management.

iDVROOM a fait son nid au sein de WeForge, un espace de coworking situé dans une rue passante du centre-ville. Nous ne sommes pas au siège de la SNCF mais à Angers, à 300 km du périphérique. Pas de meubles design ni de baby foot, la filiale de la SNCF se fait très discrète au milieu des autres entreprises de l’étage. À l’image d’Olivier Demaegt, son “directeur et facilitateur”, qui nous a accordé un long entretien, dont nous retranscrivons ici les principaux extraits.

 

123envoiture devient iDVROOM : est-ce un simple changement de nom ?

C’est le début d’une nouvelle aventure entre une TPE et un grand groupe. Le fruit d’un an de développement d’une nouvelle plateforme. Sur iDVROOM aujourd’hui il n’y a pas une seule ligne de code issue des anciennes plateformes.

Il a fallu réunir deux boîtes concurrentes, dont l’une était en difficulté (Greencove). L’entreprise est passée de 4+4 à 20 personnes. On a mis en place la réservation, le paiement en ligne,…tout en conservant nos 100 clients en collectivités. Les deux marques (ecolutis et idvroom) vont encore continuer à coexister car notre réputation s’est créée vis-­à-­vis des collectivités sous la marque Ecolutis.
123eteasy

Qu’est-ce qui différencie l’offre iDVROOM de Blablacar ?

Fonctionnellement nous avons en plus la possibilité de créer des évènements (mariage, match de foot…), ou des communautés pour les membres d’une association, d’une entreprise,…qui ne souhaiteraient covoiturer que entre eux. Nos frais de gestion sont par ailleurs adaptés à la courte de distance, avec une part fixe très faible (24cts) et aucune variation de prix en fonction de la date de réservation. Enfin il est possible d’utiliser l’outil de réservation sans pour autant choisir le paiement en ligne, et donc sans avoir de frais. C’est très pratique pour covoiturer entre personnes qui se connaissent.

Mais c’est surtout à l’avenir que nos différences vont se faire car nous allons continuer nos innovations sur les trajets domicile travail, en aidant les gens à s’organiser et à faire les comptes.

Y a-t-il de la place pour un deuxième acteur sur ce marché ?

C’est l’éternelle question, sur laquelle il a fallu convaincre aussi en interne. La réponse est OUI. Sur la longue distance nous sommes face à un ultra-leader.

Ce marché n’est pas encore mûr, il y a encore beaucoup de place

Un deuxième peut très bien vivre à côté du leader. Par exemple, Vivastreet et Yahoo en sont deux bons exemples. Mais surtout notre cible n’est pas la même puisque nous nous orientons massivement vers les trajets court et régulier. Nous n’avons pas une stratégie de leadership. Peut-être que le premier vaudra 1 milliard, mais nous n’avons pas vocation à “valoir 1 milliard”.

Que signifie pour des entrepreneurs comme vous d’être rachetés par la SNCF ?

iDVROOM n’est pas au CNIT (siège de SNCF Voyages à La Défense), la SNCF l’a voulu ainsi : “il faut quand même que vous ayez votre indépendance si vous voulez être libre “. Nous sommes restés à Angers, et certains sont encore à La Rochelle (siège d’Ecolutis).
ecoluteam
On nous dit souvent qu’en étant racheté par la SNCF, on ne serait plus indépendant. Mais l’on est toujours dépendant de quelque chose ! Quand on lève 100 millions, on est plus indépendant.  Pour l’avoir vécu, quand tu as un capital de 7000€, tu n’es pas indépendant non plus.

Moi je me sens beaucoup plus libre et capable d’innover depuis que je suis au sein de la SNCF

Avec ce type de moyens, je suis capable d’avoir une vision à très long terme. Pour la première fois je me dis “je tente un truc et l’objectif c’est que ça porte ses fruits dans 5 ans.”

Quels types de relations avez-vous avec la maison-mère ?

Nous sommes dans SNCF Voyages, c’est à dire TGV. Nous sommes un métier de la SNCF à part entière. Être dans la gamme des “iD” signifie que nous sommes une « usine à innovations ». Un nouveau métier, qui ne sait pas exactement comment il va fonctionner demain. Le défi est de s’intégrer dans un groupe si vaste sans perdre une goutte de l’esprit entrepreneurial. Une de mes satisfactions d’avoir rejoint le Groupe SNCF c’est d’avoir fait rentrer le covoiturage dans le service public

IDvroom
Bien sûr cela bouscule des choses, mais nous avons le soutien massif de Guillaume Pépy et de Barbara Dalibard (Directrice de la branche Voyages) qui, au-delà de le penser, le partagent en interne et en public.

Ceci signifie-t-il que la SNCF intègre les 38 millions de voitures dans son offre de transport ?

Pas encore, car il va nous falloir convaincre les conducteurs ! Mais en effet, c’est la première fois que la SNCF vend un produit qu’elle n’opère pas. Ce sont bien des particuliers qui vont proposer leur voiture, pas une société de taxi ou de VTC. Pour la première fois elle fait une promesse sur laquelle elle n’a pas toute la main. C’est d’ailleurs la force de cette promesse. Elle dépend de la bonne volonté des clients, c’est une offre co-construite.

Concernant l’offre de mobilité, aujourd’hui on commence par demander à l’utilisateur « quel moyen de transport veux tu emprunter ? » avant de lui demander « où veux tu aller ? ». Souvent, la réponse, c’est : “je prends ma voiture, parce que ça me gonfle d’aller chercher l’information sur 15 sites”.

Aucun mode ne peut individuellement lutter contre la voiture

Le vélo ne vous fera pas faire 200km et le TGV nous vous emmènera pas à la boulangerie. Mis ensemble en revanche l’offre multi-modale est ultra pertinente. D’ailleurs les covoitureurs utilisent plus les transport en commun que les autres. Pourquoi ? Parce que tout simplement on parle des gens qui se déplacent.

Pour les jeunes, le premier réflexe pour se déplacer est-il de penser au covoiturage ou au train ?

Les jeunes regardent les modes qui leur sont proposés. En dernière minute, le covoiturage propose souvent un tarif avantageux. Il y a aussi un nouvel arbitrage qui n’est plus uniquement entre “passager train” et “passager covoiturage”, mais aussi entre “passager train” et “conducteur avec passagers en covoiturage”. Or, si tu offres en porte-à-porte un système plus pertinent pour venir de Segré (banlieue d’Angers) jusqu’à la gare ou alors une offre parking+ train, ou quelque chose qui est de l’ordre de l’offre globale, tu peux re-capter les gens.

Et le covoiturage n’est plus un sujet “de jeunes”, c’est terminé. Les jeunes sont devenus moins jeunes et les jeunes ont expliqué à leurs parents comment faire. 70% des utilisateurs ont plus de 35 ans chez nous, orientés domicile-travail. Blablacar c’est plutôt 30% de 18-25 ans, 30% de 25-35, 30% au-dessus. IPSOS a publié une étude en 2013 “ les Français et la consommation collaborative” : on y apprend que seuls les étudiants sont surreprésentés parmi les covoitureurs. Toutes les autres classes sont autant représentées parmi les covoitureurs que dans la vraie vie. Sauf les retraités et parents avec jeunes enfants.

Les Français et les pratiques collaboratives

Le covoiturage ne va-t-il pas concurrencer l’offre SNCF ?

La SNCF n’a pas la stratégie de rendre le covoiturage concurrent, mais nous sommes bien conscient qu’il va y avoir des frictions de marché. Il y a ça dans toutes les entreprises : Sosh vs Orange, Clio vs Megane, Ipad vs Ipad Mini, on appelle cela une gamme de services. Cela inquiète les clients, mais aussi les cheminots, c’est légitime. Ceci étant en regardant les études on constate que la cannibalisation du TER par le covoiturage est très minime, voire inexistante. Sauf dans le cas d’un service dégradé (travaux notamment), mais dans ce cas mieux vaut proposer nous même une alternative plutôt que de dire au revoir au client.

Index Venture, qui vient d’investir 100 M$ dans Blablacar a déclaré : “les courtes distances, ça va être Uber, les longues distances, ça sera Blablacar”. Qu’en penses-tu ?

Concernant l’expansion de Blablacar, le covoiturage devient un phénomène mondial. Ce qui va permettre à Blablacar d’y aller, c’est la marque mondiale qui leur permet d’arriver dans un pays parce qu’elle est attendue par les utilisateurs, et du coup elle est poussée et vécue comme un évènement. Avant d’arriver sur le marché international, elle a déjà ses aficionados. Moyens, expertise et marque. Quand on voit une startup émerger comme cela, c’est motivant pour les entrepreneurs dans une France qu’on essaie de nous faire passer pour morose. Je pense qu’ils vont faire un carton.

 

L’objectif de la SNCF est-il de créer une startup pour la revendre ensuite ?

L’objectif de la SNCF n’est pas du tout de nous revendre. Si cela avait été le cas, elle aurait “remis au pot” chez 123envoiture par l’intermédiaire du fond Ecomobilité Partenaires. La vision a plutôt été : “Le covoiturage m’intéresse, cette entreprise a encore besoin de soutien, je souhaite l’intégrer comme métier plein et entier chez moi”.

Nous sommes un nouveau métier du groupe, comme iDBUS, comme iDTGV.

Le projet c’est d’intégrer pleinement l’ensemble des mobilités. Sous ses airs de mastodonte la SNCF est composée de nombreux experts entrepreneurs avec qui je suis en contact au quotidien.

Une proposition de Loi vise à interdire la géolocalisation pour les concurrents des taxis : n’est-ce pas un arrêt de mort des nouveaux services ?

Pour moi les lois bloquantes ne passeront pas. Ça n’est pas possible, ce serait tuer l’entreprenariat dans l’œuf. On peut protéger des secteurs économiques, on peut faire du protectionnisme pour protéger l’emploi en France, mais interdire ce genre de nouveau truc simplement parce que les taxis n’ont pas chopé le virage du numérique, pour moi c’est un non-­sens. Cela dit, ce que j’aime beaucoup dans les taxis, c’est l’entreprenariat individuel et la capitalisation du travail.

J’espère que les taxis vont se réveiller… 😉

Quand on est taxis, on est entrepreneur. Ce qui m’inquiète chez Uber, c’est que demain, si ils font carton plein, toutes les courses courte distance dans le monde seront sous la main de quelques dirigeants au lieu d’être réalisées par des milliers d’entrepreneurs.

Peux-tu te présenter ?

J’ai fait des études d’ingénieur généraliste à l’ICAM de LILLE. Mon premier poste était dans une startup qui faisait des logiciels d’aide à la décision pour les traders. Quand je suis arrivé on était 100 et quand je suis reparti on était…7. Cela m’a appris ce qu’était une boîte qui explose en vol. Sur mon CV j’ai mis « pompier ». Je suis ensuite rentré chez Rail Europe, distributeur de billets de train à l’international, pour créer la direction système. En 2005, j’ai créé un distributeur de fournitures de bureau écologique, Un Bureau sur la Terre. Ensuite j’ai rejoint Ecolutis en 2008 et me suis associé très vite avec Régis Lippinois. Ensemble on a créé Un Toit pour les Abeilles, qui propose aux particuliers et entreprises de parrainer des ruches.

un-toit-pour-les-abeillesJ’aime bien créer des nouveaux concepts économiques, surtout quand ils ont un sens social. Rejoindre la SNCF ça résoud un petit conflit intérieur : “petite boîte ou grand groupe ?”. Là je suis une petite boite au sein d’un grand groupe.

On me demande souvent pourquoi nous n’avons pas levé de fond dans la foulée de covoiturage.fr en 2008. La raison est assez simple : à cette époque mon premier enfant venait de naître et je souhaitais être pleinement disponible pour l’accueillir. Maintenant je retrouve mes nuits et je suis d’attaque pour poursuivre l’aventure !

Si tu dois donner un conseil à quelqu’un qui voudrait se lancer aujourd’hui ?

“Vas-­y !” Ne fais pas d’études de marché. L’étude de marché c’est utile si il faut investir lourdement dans un outil industriel, ou si il faut emprunter pour acheter du stock. Mais mieux vaut mettre 15 000 euros dans un crash-test que dans une étude. Quand on a ouvert “un bureau sur la terre” avec Dominique Demaegdt, on avait un blog avec 4 produits, pas de logo, c’était très moche, et on a eu nos premiers clients. Le premier Easycovoiturage a été codé sur une table de cuisine avec comme support « Le html pour les Nuls ». Quand on a ouvert “un toit pour les abeilles”… on ne l’a pas ouvert en fait. On a mis une ruche, on a fait une récolte de miel avec Ecolutis, on a mis notre logo sur la ruche, on a fait des photos et on les a diffusées sur les réseaux sociaux. On en a parlé à nos boîtes voisines, et elles ont dit “ah j’en veux une, j’en veux une…” et maintenant c’est une entreprise rentable avec 4000 clients particuliers, 300 entreprises et 750K€ de CA. Il faut aller sur le marché même si le produit n’est pas parfait, pas fini, même si il y a des bugs. Aller sur le marché le plus vite possible.

Merci Olivier et longue vie à iDVROOM !

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