Qu’est-ce qu’un modèle économique scalable ?

Une startup se différencie des autres entreprises par son modèle économique, et notamment sa capacité à « passer à l’échelle » (en anglais : scalability). Exemples et décryptages avec l’étude des modèles Uber, RATP et SNCF.

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Qu’est-ce qu’un modèle économique scalable ? 

Impossible de lire une publication sur les nouveaux modèles économiques sans tomber sur la formule obscure de “business model (ou modèle économique) scalable”. Par « scalable » on entend « capable de passer à l’échelle », mais le concept est rarement défini. Il est important car il différencie à juste titre les startups des autres types d’entreprises. Un modèle économique scalable permet d’atteindre les “rendements croissants” caractéristiques d’une jeune pousse. Dans un modèle scalable, plus l’activité se développe, plus la rentabilité est importante, de manière non linéaire et sans effet de palier. Mais comme on ne peut pas définir un concept par son résultat, j’ai préféré partir d’un exemple concret et le comparer aux modèles non-scalables qu’il vient concurrencer.

L’exemple choisi n’est pas anodin : je vais analyser le modèle économique d’Uber, et le comparer aux modèles classiques du transport, le “modèle RATP”, ainsi qu’à un modèle plus élaboré mais toujours pas scalable, le “modèle TGV”. J’espère en décryptant ces trois exemples vous aider à comprendre ce qu’est la scalabilité, et plus globalement ce que recherchent les startups par rapport aux entreprises “classiques” (pour les puristes, je ne détaillerai pas ici les business models au sens du “business model canvas” mais simplement leurs éléments essentiels).

1. Le modèle Uber

Je m’appuierai pour cette explication sur un schéma de David Sacks, fondateur de Yammer et ex-COO de Paypal. J’ai utilisé en 2014 ce schéma dans une présentation qui détaille les clés du succès de Uber, Blablacar et Airbnb (à découvrir ici). Il est temps maintenant de la décrypter point par point.

Dans un modèle de plateforme comme celui d’Uber, les forces de production (les conducteurs) sont des professionnels indépendants ou des particuliers. Ils doivent répondre à des contraintes – être titulaire d’un permis de conduire, posséder un véhicule, avoir un casier vierge,… – dont ils portent seuls la responsabilité. Non seulement leur coût unitaire, à l’instar d’autres travailleurs indépendants, est plus faible que celui d’un salarié, mais leur capacité de production est totalement « liquide » : on parle de travail « à la demande » ou « à la pige » (gig economy). Ils ne sont payés que quand ils travaillent, et ne coûtent rien au client (ni à la plateforme) quand ils ne travaillent pas.

business-model-Uber 1 - 15marches

Le cercle proposé ci-dessus indique donc logiquement qu’à une hausse de la demande répond une hausse de l’offre, ce qui se traduit en matière de transport par une meilleure couverture géographique (et temporelle), ce qui réduit le temps d’attente du voyageur et augmente sa satisfaction : c’est le cercle vertueux qui permet à la demande initiale de générer de la demande supplémentaire. La spécificité du modèle mis en place par Uber est qu’il adjoint à ce premier cercle un second (à gauche), par lequel la hausse de la demande pour les conducteurs leur permet d’effectuer plus de courses par jour (ou par heure), ce qui permet à Uber de baisser les tarifs unitaires par course. Qui dit baisse des tarifs dit hausse de la demande, grâce à la fameuse élasticité de la demande au prix enseignée dans toutes les bonnes facultés d’économie. Pour celles et ceux qui ne croient pas à la « main invisible » qui semble parfaire ce modèle, j’ai ajouté ci-dessous certains éléments pour mieux comprendre le système mis en place.business-model-Uber 2 - 15marches

Tout d’abord, Uber n’est pas Le Bon Coin : la plateforme ne se contente pas de mettre face à face offre et demande. La « meilleure couverture géographique » est améliorée par des recommandations de localisation que les conducteurs reçoivent directement sur leur appli (qui n’est pas la même que la vôtre). Ensuite, elle fixe elle-même les tarifs. Contrairement aux taxis qui appliquent des prix fixés par arrêté préfectoral, Uber développe des algorithmes complexes capables d’adapter les tarifs en temps réel en fonction de la demande. Ce système, baptisé surge price, a une double vertu : la hausse des tarifs « lisse » la demande en décourageant les clients de se déplacer à certaines périodes/dans certains lieux, et elle encourage les conducteurs à travailler durant ces périodes (pensez au soir de Noël). Évidemment, tout cela est possible grâce à la géolocalisation des véhicules et des clients, et l’utilisation de modèles mathématiques analytiques et prédictifs (appelez ça big data si vous voulez). Dans une étude de 2014, les ingénieurs d’Uber ont démontré qu’ils étaient capables de prévoir 3 déplacements sur 4 d’une semaine sur l’autre à San Francisco.

Concernant la « petite boucle » vertueuse (à gauche), elle est facilité par deux paramètres (en plus du tarif, déjà développé) :

  • le coût d’approche est supporté par le chauffeur lui-même : il a tout intérêt à limiter son temps « à vide » et multiplier les courses
  • le pouvoir de négociation des chauffeurs, sur les tarifs notamment, est faible. Pas de syndicats (même si cela commence à bouger), et pas la main sur les tarifs -et donc sur leurs revenus. Lorsque Uber a décidé de baisser les tarifs de 20% cet automne, certains ont bien protesté, mais sans résultat. Bienvenue dans le monde des plateformes…

Je pourrais ajouter à ce modèle un autre facteur très important pour Uber : la capacité de transporter plusieurs clients dans une même course. Appelé Uber Pool, ce service permet aux voyageurs de payer moins cher en acceptant de partager leur trajet et faire quelques détours.UberPool-Trip2 - 15marches

Là encore, le modèle économique d’Uber Pool recèle son propre « double cercle vertueux » :

  • les passagers paient moins cher que s’ils voyagent en solo, donc plébiscitent cette fonctionnalité (déjà une course sur deux à San Francisco et 20% dans le monde)
  • les conducteurs ne sont pas plus payés, mais ils effectuent des courses plus longues donc plus chères
  • Uber touche évidemment plus d’argent avec moins de conducteurs.

Combinez les trois boucles vertueuses décrites ci-dessus, vous avez les fameux « rendements croissants » : chaque passager supplémentaire et chaque conducteur supplémentaire génèrent de plus en plus de revenus pour la plateforme. Vous comprenez maintenant pourquoi cette entreprise, et ses clones asiatiques, sont valorisés plusieurs dizaines de milliards de dollars. Ce qui n’est pas exactement le cas de leurs concurrents « traditionnels ».

2. Le modèle RATP

Le modèle économique d’un opérateur de transport comme la RATP est dimensionné par la rigidité de l’offre. Le nombre de véhicules, le nombre de conducteurs, l’emplacement des dépôts, la réglementation des temps de travail,…conditionnent des coûts et des effets de seuils importants. Former un conducteur de bus prend plusieurs années et coûte très cher. Acheter un bus également. Ne parlons pas des locaux et garages. En conséquence, les services s’adaptent lentement à la demande et doivent anticiper longtemps à l’avance les réponses à de nouvelles demandes (pensez au métro la nuit). Surtout, les tarifs étant fixés par la collectivité, ils sont structurellement trop bas et ne couvrent pas les charges, ce qui nécessitent des subventions de fonctionnement et d’investissement. business-model-RATP2 - 15marches

Tout ceci conduit à un modèle d’adaptation « par la saturation » : la hausse de la demande ne trouve pas de réponse en terme d’offre, ce qui dégrade la qualité perçue (temps d’attente, obligation de marcher pour trouver une ligne). La saturation augmente l’inconfort et le temps de parcours. Au final, les clients insatisfaits qui le peuvent finissent par trouver d’autres modes de transport (pensez aux nombres de scooters à Paris). C’est le cercle vicieux. Enfin, les tarifs ne sont pas modulables et comportent leur propre « boucle vicieuse » : les heures de pointe (fort coût marginal de l’offre) transportent majoritairement des abonnés (faible recette au voyageur), alors que les heures creuses (faible coût marginal de l’offre : c’est le même bus et le même conducteur que tout à l’heure) transportent majoritairement des passagers occasionnels qui paient cher (un ticket à l’unité : 1,80€) et donc sont peu nombreux. Offre limitée + tarifs rigides = baisse de la fréquentation/course + baisse de la recette/course. L’exact inverse d’Uber.

3. Le modèle TGV

Ce modèle, inspiré du transport aérien, tente de limiter les effets pervers du premier en tentant de maximiser les recettes à offre constante grâce à deux paramètres : la réservation obligatoire et la modulation des tarifs.

business-model-TGV - 15marches

Le système est capable de prévoir de manière théorique le remplissage des courses (ex. : le TGV de 8h05 dans deux mois) : il fait varier en plus ou en moins les tarifs et promotions selon le nombre constaté de réservation par rapport au remplissage théorique. Il peut également jouer sur le nombre de places « ouvertes » à certains tarifs bénéficiant de réduction (seniorjeunes,…). L’objectif est de maximiser la recette des offres les plus demandées, et d’orienter la demande vers des offres moins demandées et moins chères (les retours en sens inverse des courses « de pointe » par exemple, ou les trajets province-province). Ce système présente des vertus pour le producteur de service, mais n’est pas pour autant « scalable ». Les rendements n’augmentent pas de manière proportionnelle. Au contraire, plus il y a d’offre, moins les tarifs élevés se justifient. De plus, cette modulation tarifaire est mal vécue par la clientèle et contribue à l’image de « cherté ». Elle fonctionne bien s’il n’y a pas d’alternative ni de concurrence. Blablacar a longtemps communiqué sur ses tarifs « sans changement de dernière minute », visant clairement ceux du TGV. Enfin, la réservation obligatoire colle mal avec le désir de « temps réel » et « dernière minute » des jeunes générations. Pas facile.

J’espère que ces explications ont éclairci ces concepts pour vous et votre entreprise. Ces modèles fonctionnent avec tout secteur d’activités : je les utilise dans mes ateliers avec des startups pour les aider à trouver leur propre scalabilité. N’hésitez pas à les commenter sur twitter : @15marches ou en me contactant directement.

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